À la fois cinéaste, poète et critique littéraire, Pier Paolo Pasolini réalise son premier film, Accattone, en 1961. Cette oeuvre, d’une authenticité bouleversante, devient le premier film de l’histoire du cinéma italien à être interdit aux moins de dix-huit ans. Retour sur un classique qui a fait couler beaucoup d’encre.
Synopsis : Privé de Maddalena, en prison par sa faute, Accattone, petit proxénète lâche et sans scrupule, doit trouver un moyen de gagner sa vie. Il tente de retourner chez la mère de son fils, mais celle-ci le met dehors. Puis il rencontre Stella, une jeune fille pure et naïve, dont il tombe amoureux…
Un film néoréaliste ?
Avant tout, qu’est-ce que le néoréalisme ? Dans ses grandes lignes, le néoréalisme est un courant apparu en Italie, durant la Seconde Guerre mondiale. Il prône l’absence d’artifice, proche du documentaire. Cependant, les films néoréalistes sont des fictions, et cherchent à montrer la réalité telle qu’elle est. C’est un cinéma authentique, loin de tout studio de tournage, et qui préfère recruter des acteurs non professionnels. En d’autres termes, le cinéma néoréaliste se délivre de toutes les conventions formelles qui le précède.
Certaines caractéristiques néoréalistes se retrouvent dans Accattone, à commencer par le sujet du film. Les personnages, issus de la classe prolétaire, doivent se battre pour réussir à survivre dans un monde sans perspective. Pasolini ne cache pas la violence de ce milieu : il la montre sans retenue. Franco Citti, qui joue Accattone, se confond avec la bestialité de son personnage. Cette association est d’autant plus intéressante sachant qu’il n’est pas un acteur professionnel.
Pour autant, le réalisateur ne se revendique pas du mouvement néoréaliste. En effet, alors que les films de la mouvance optent pour des plans larges qui montrent les ruines et le chaos d’un espace, Pasolini préfère filmer ses acteurs. L’important, selon lui, est la représentation des corps, des émotions, des expressions du visage, qui doivent dominer sur le reste du paysage. Ce choix explique les nombreux gros-plans du film, connectant les spectateurs aux intérieurs des personnages. Le cinéaste délaisse également les plans-séquences, éléments caractéristiques du néoréalisme car en prise avec la réalité.
La violence et le sacré
Pasolini n’hésite pas à associer La Passion de Saint-Matthieu de Bach, un chant religieux, à la violence du milieu prolétaire dans deux séquences. La première est celle de Maddalena, compagne d’Accattone, qui se fait battre dans un champ sur la musique de Bach. Puis, c’est au tour d’Accattone lui-même de se battre devant chez lui, au son de la même musique. Cette association déroutante sacralise la violence ; elle en devient effrayante de sublime. Pasolini cherche constamment à élever ses personnages au rang de symbole religieux, même dans la brutalité. À ce titre, le nom de Maddalena n’est pas choisi au hasard : elle est une disciple de Jésus dans la Bible. Stella, quant à elle, est l’ange salvateur d’Accattone. Elle est l’échappatoire vers une vie pure et sans excès.
Par ailleurs, Pasolini opte pour une lumière brute et crue, qui flagelle les corps des personnages. Il a notamment utilisé des filtres oranges sur l’objectif de la caméra afin d’accentuer les contrastes de lumières. Ainsi, le spectateur ressent la chaleur des rues de Rome, écrasées par un soleil qui agresse les corps. Dans son ouvrage Il sogno del centauro, Pasolini écrit : « Quand je fais un film, je me plonge dans un état de fascination devant un objet, une chose, un visage, des regards, un paysage, comme s’il s’agissait d’un dispositif dans lequel le sacré était sur le point d’exploser ».
La fatalité d’une ville éternelle
Accattone est un personnage martyr, dont la seule issue est la violence. Il clame : « Être mort, être vivant, c’est la même chose. » Il est privé de perspective, accablé par le fatalisme. Autour de lui, la saleté de Rome accentue cette impression. En effet, la ville est laissée à l’abandon, elle est une terre de souffrance, où chacun doit se battre pour survivre.
Enfin, les personnages se confondent avec Rome, notamment par cette lumière aveuglante qui unit les corps et les bâtiments. La ville apparaît comme une terre meurtrie et désespérée, sans possibilité de rédemption. Accattone y évolue avec peine tout en y restant fixé, comme s’il était impossible de s’en détacher. Rome est connue sous le nom de Ville éternelle, mais Pasolini la représente comme une ville du passé, délaissée et ravagée par la guerre.
Bande annonce – Accattone
Fiche technique – Accattone
Titre : Accattone
Réalisation : Pier Paolo Pasolini
Assistants réalisateurs : Leopoldo Savona et Bernardo Bertolucci
Scénario : Pier Paolo Pasolini
Photographie : Tonino Delli Colli
Montage : Nino Baragli
Musique : Jean-Sébastien Bach
Décors : Flavio Mogherini
Son : Luigi Puri
Collaboration aux dialogues : Sergio Citti
Production : Alfredo Bini et Cino Del Duca
Pays d’origine : Italie
Langue : Italien
Format : Noir et blanc
Genre : Film dramatique
Durée : 115 minutes