Jean-Pierre Bacri est mort à l’âge de 69 ans. Cet acteur souvent qualifié d’authentique et bougon a surtout marqué par des films qui le sont tout autant. Discret sur sa vie privée, peu présent à l’écran (il n’était pas boulimique de films), l’acteur a su nous toucher en plein cœur. Portrait en forme d’hommage.
Cinéma français
Quand surgit brutalement une mort à laquelle on ne s’attendait pas, on mesure l’impact d’un artiste dans une vie. Quand j’ai appris la mort de Jean-Pierre Bacri, toujours présent dans un coin de mon esprit, j’ai tout de suite appelé ma mère. Comme si elle et moi avions perdu un proche. Et j’ai eu un flash : l’acteur est pour moi identifié à jamais pour son personnage dans Le Goût des autres. Je le revoyais en train d’essayer d’apprendre l’anglais face à une femme qu’il désirait. Le film m’avait touchée par cette impression de solitude tenace qui s’accrochait à tous les personnages, mais une solitude tournée en poésie, même quotidienne. Et puis, il y a eu l’image d’Agnès Jaoui dans sa cuisine. Je me suis aperçue que j’avais encore du mal à les dissocier, tant leurs films les ont à jamais liés. Pourtant, les deux êtres sont entiers dans leurs colères respectives. Jean-Pierre Bacri a été en effet à jamais associé à la bougonnerie. Si bien qu’on lui propose à la fin d’une interview d’écouter Jamais content de Souchon et qu’il choisit d’écouter du rap à la place. Et là, il sourit franchement, même fugacement. Comme son personnage d’Un air de famille, l’acteur refuse la béatitude stupide, constante, l’agacement contraint. Il ne s’énerve pas de tous les sujets, de toutes les polémiques. Bien au contraire, il s’agace de petites choses, de petits détails qui se retrouvent dans son cinéma. Et il distille de la tendresse éveillée : oui, un concept un peu étrange. Quelque chose qui fait qu’on s’entoure de personnes qui nous relèvent, qui nous sortent de notre torpeur. Son cinéma n’a été que cela, même si ses personnages, comme celui du Goût des autres, subissaient des humiliations. Qui nous reste-t-il parmi les éveillés qui ne crient pas à tort et à travers ?
Être humain
Si Jean-Pierre Bacri n’avait pas été aujourd’hui qualifié pour ses films de chantre de la diversité, ses films étaient uniques, avec un regard qui n’existait nulle part ailleurs. Loin des froids appartements parisiens que l’on reproche souvent au cinéma français de filmer, les préoccupations des personnages « à la Bacri » étaient plus terre à terre, moins bourgeoises. Pour exemple, Comme une image, dont le synopsis commence comme ça « c’est l’histoire d’êtres humains qui savent très bien ce qu’ils feraient s’ils étaient à la place des autres… ». Des êtres humains, c’est de cela qu’il est question, pas de figures, pas de postures, simplement cette vie tournée dans tous les sens. Un esprit de troupe surtout, de théâtre, qui a également animé cet acteur, scénariste et réalisateur. L’impression que chaque personnage a du sens, de l’intérêt, qu’il n’est pas un faire-valoir. Dans Le Sens de la fête, en 2017, il était de nouveau au cœur d’une troupe dont son personnage était le chef d’orchestre. Comme un grand testament, le film le mettait en scène à la fin de quelque chose, d’une certaine façon de faire.
En revoyant la pluie d’hommage, je suis retombée sur un épisode d’En aparté (Canal Plus), qui doit dater à peu près de 2003, où l’acteur se retrouvait dans un appartement, seul, pour une interview avec clope et verre de vin. Une télévision comme on en fait plus. En effet, pour revoir Un air de famille, j’ai du aller sur C8 et, puisque la diffusion était en retard, regarder malgré moi un petit bout de Touche pas à mon poste… J’ai mesuré cet écart qui, à seulement 28 ans, m’a fait passé pour une veille aigrie du « c’était mieux avant ».
Sincérité
Je me suis interrogée alors sur le sens de la sincérité. Quand Jean-Pierre Bacri déclare « un artiste, c’est celui qui n’accepte pas beaucoup trop », il dit : qui n’accepte pas de parler tout le temps, sur tout et n’importe quoi, qui détourne les yeux pour ne pas se regarder et s’habituer à son image, mais chercher à la perfectionner. Qui écrit pour tenter de dépasser son dégoût de la vie, et développer son amour pour elle. Qui montre l’humain tout petit comme il est, mais qui offre une immense dose d’amour à ses personnage. On a souvent dit, à tort, que Bacri faisait du Bacri. Certes, il a surtout tenu une ligne, une vérité qui montre, comme le dit si bien Vincent Dedienne, qu’« en jouant comme il respire, il dit la vérité ».
Ne pas accepter beaucoup trop
On ne sait pas si c’est cela la liberté, mais on a envie de se dire que ça y ressemble. La liberté de dire ce que l’on pense, de dire « je m’en fous » quand un sujet devient inintéressant pour soi. Dedienne parle d’un vague à l’âme qui se fracasse à un rocher, le rocher étant Jean-Pierre Bacri. C’est exactement cela qu’était Jean-Pierre Bacri, une boussole vers laquelle ce vague à l’âme pouvait trouver refuge. La dernière image qui s’accorde à cela, c’est Monsieur Sim alias Jean-Pierre Bacri, au volant de sa voiture, qui dialogue avec son GPS. Une nouvelle fois cette solitude qui se dévoile petit à petit, éclot devant nos yeux et rencontre dans une infinie poésie la solitude du spectateur. Me voilà un peu orpheline, cela semble certainement excessif mais Jean-Pierre Bacri m’a été transmis par ma mère, qui m’a surtout transmis l’amour pour un cinéma touchant, simple et accueillant dans lequel on a envie de se réfugier. Jean-Pierre Bacri est comme un papa de substitution qui m’a regardée grandir à travers ses films (même s’il ne me voyait pas) et qui m’a offert ce regard sur le monde encore une fois touchant, simple et accueillant, soit touchée par la grâce, la simplicité et l’ouverture vers les autres. Les autres à qui on dit qu’on s’emmerde alors qu’il faut qu’ils entendent « je t’aime ».