Les éditions Dupuis publient Merel, de Clara Lodewick. Prenant pour cadre un petit village de Flandre, le récit s’appuie sur un personnage malmené par les événements, Merel, une journaliste sportive quadragénaire victime de ragots mensongers.
Merel est un souffre-douleur. Cette journaliste sportive habitant un petit village de Flandre et proche du club de football local va agir comme une sorte de fusible. Parce qu’entourée de ménages dysfonctionnels, caractérisés par les non-dits, les jalousies et les désirs inavoués, elle voit s’abattre sur elle une série de rumeurs infondées et particulièrement délétères. On la dit, sans l’ombre d’une preuve, un peu trop intime avec les sportifs qu’elle côtoie, donc potentiellement menaçante pour toutes ces familles qui, sous des dehors respectables, cachent pourtant des fêlures parfois profondes.
Pour convaincre son lecteur des tourments en écho occasionnés par ces ragots, la scénariste et dessinatrice Clara Lodewick n’épargne personne : Merel se désole d’être la victime de harcèlement, Suzie est inconsolable dès lors qu’elle prend conscience du mal dont elle s’est rendue coupable, son fils Finn est lui aussi touché par les événements, après avoir pris part, d’un peu trop près, à la chasse aux sorcières en cours au village. Très tôt, on perçoit les intentions de l’auteure : le drame social est en suspens et il suffit d’une légère étincelle pour mettre le feu aux poudres. Cette dernière proviendra d’une blague innocente mais surinterprétée au point d’en devenir le prétexte à toutes les dérives.
À la lecture de Merel, on songe forcément à la psychologie sociale, et plus particulièrement à celle des foules, mise en lumière par Gustave Le Bon. Consciemment ou non, Clara Lodewick met parfaitement en vignettes la manière dont les comportements individuels peuvent être affectés par des phénomènes sociaux qui les enveloppent et les animent. Le petit village qui sert de cadre au récit, articulé autour d’une équipe de football et d’un café, où les gens se croisent au supermarché et où les maisons sont protégées par des barrières à repeindre (non sans clin d’œil à Mark Twain), devient le puissant incubateur d’actions grégaires débouchant sur la désignation d’un bouc émissaire. Dans cette histoire, Merel est victime de sa non-conformité : parce qu’elle n’a pas d’enfant, parce qu’elle s’intéresse au football, parce qu’elle peut se prévaloir d’une forme d’indépendance, elle voit circuler à son sujet des affabulations destructrices, qui, des parents, iront ensuite contaminer les enfants.
Bien ficelé, plus dense qu’il n’y paraît, le roman graphique de Clara Lodewick pourrait se réclamer, pour partie, de films tels que La Chasse (Thomas Vinterberg, 2012) ou La Poursuite impitoyable (Arthur Penn, 1966). Graduellement, Merel va voir son monde basculer, ses liens aux autres se distendre, s’effilocher, jusqu’à la rupture consommée qui semble alors la priver d’humanité. Elle n’est coupable de rien, mais pourtant responsable de tout aux yeux des autres. Les commérages, le rejet, les animaux pris pour cibles, les cheveux coupés : la gradation de l’ostracisme est en cours et c’est sur elle que se fonde l’essentiel de Merel. À son apogée, John Carpenter n’avait pas son pareil pour filmer un mal extérieur s’insinuant dans une communauté sans histoire. Ici, Clara Lodewick joue la même partition mais avec un autre instrument : elle décline la nature humaine, la frelate, avant d’atteindre une forme de rédemption.
Merel, Clara Lodewick
Dupuis, août 2022, 160 pages