C’est un roman anthologique de l’enfance. Un récit ivre de liberté, où un jeune héros cherche à s’affranchir de tout. Et surtout des règles. Mark Twain n’a pas seulement marqué la culture populaire avec Les Aventures de Tom Sawyer : il s’est hissé tout en haut de la littérature mondiale.
Le regard est tendre et passionné ; l’oeuvre, ingénieuse et séminale. Mark Twain s’astreint pourtant à une entreprise difficile : narrer l’Amérique des années 1830 à la lumière de ses enfants les plus facétieux. Son jeune héros Tom Sawyer, plongé dans des aventures partiellement autobiographiques, est un orphelin élevé par sa tante, faisant régulièrement l’école buissonnière, capable des pitreries les plus farfelues et des fantasmes les plus extravagants. Lui et ses amis se rêvent ainsi en pirates, en truands ou en voleurs de trésors, quand ils ne simulent pas leur mort dans l’espoir insensé de bouleverser tout un village. Quelques décennies avant la Guerre de Sécession, l’Amérique telle que portraiturée par Mark Twain n’est cependant pas sans stigmates : les châtiments corporels ont pignon sur rue, le terme nègre fleurit dans les conversations, les parents démissionnaires ou alcooliques font partie du décor anthropologique et une balade nocturne dans un cimetière peut soudainement vous confronter au meurtre le plus glacial et cynique.
Mais ce qui demeure le plus structurant dans Les Aventures de Tom Sawyer tient plutôt à l’insouciance de ses jeunes protagonistes, ainsi qu’à leur soif inaltérable de liberté. Nantis d’un scarabée ou d’un chat mort, ils s’exposent à des jeux et des escapades que la raison seule ne pourrait justifier. Comme le souligne très justement l’inoubliable monologue final de Huck, jeune vagabond désargenté, le besoin d’abandon ne saurait s’embarrasser de la moindre entrave. Une liberté négociée n’est rien d’autre qu’une soumission déguisée. Pour que cet état de fait irradie tout son roman, Mark Twain n’a nul besoin d’une histoire corsetée ou esclave de rebondissements artificiels : il lui suffit de raconter les hourvaris de l’enfance, les amours naissants, les amitiés portant remède à tous les maux, ainsi que ces événements initiatiques, doux-amers, constitutifs de l’être. Si chacun a ses tropismes, ceux de Mark Twain prennent sans conteste la forme d’une mémorable ode à la liberté, dont – paradoxalement – le paria Huck représente sans doute la pointe avancée.
Les Aventures de Tom Sawyer, Mark Twain.
Folio junior, juin 2008, 352 pages.