« Munjoie ! », second volet du diptyque de Juan Luis Landa intitulé Chroniques de Roncevaux, paraît aux éditions Glénat. Manquant de lucidité, aveuglé par le ressentiment, Charlemagne va connaître une double débâcle retentissante…
Pour rappel, les Chroniques de Roncevaux racontent l’épopée de Charlemagne et du guerrier Roland en Hispanie en l’an 778. Le Roi franc cherche alors à mettre fin à l’ascension de l’Empire islamique, qui menace le sud de son territoire. Dans une première planche muette, au trait raffiné, le lecteur est immédiatement immergé en pleine bataille. Mais rien ne se passe comme prévu. « Les portes de Saragosse résistèrent, accordant un peu de répit à Hossain et renforçant la frustration de Charles. » Ce dernier décide alors d’attendre la décrue pour attaquer à nouveau la Cité convoitée, mais les problèmes s’accumulent : de nombreux Francs ont péri, des dissensions profondes persistent entre Milo et l’archevêque Fulrad, les forces ennemies s’étoffent sans crier gare… Frère Angela doit rédiger les chroniques de cette épopée militaire : « Je compris vite que je ne devais consigner que les faits dignes d’être rappelés, pour la plus grande gloire du roi. » Inutile de s’épancher sur une défaite quand on entend faire l’apologie du Roi.
Au scénario et aux dessins d’un excellent diptyque, Juan Luis Landa met son sens du spectacle au service de ces batailles du haut Moyen-Âge au cours desquelles Charlemagne connut une double déconvenue. Pendant son absence, Widukind rase ses garnison et menace de traverser le Rhin. Les Saxons se rebellent à nouveau. Et sur place, à Saragosse, le Roi ne peut que voir « la couardise faire son nid parmi ses barons ». Car Hossain a offert de l’or pour acheter la paix, ce qui crée des divisions intolérables dans ses troupes. À force de frustrations, talonné par les Sarrasins pendant son recul, et constatant le massacre de ses hommes dans la Cité vascone, le Roi surréagit : « Après plusieurs jours de pillage, de destruction et de mort, et avant de quitter Pampelune en ruine, Charles, ivre de barbarie, ordonna l’exécution des otages, semant dès lors les graines de son propre malheur. »
Là réside la seconde débâcle de « Munjoie ! ». La vengeance de Ximeno s’annonce terrible. Onneka, retenue en otage avec son fils, prédit : « Vous avez ouvert la boîte de Pandore. Rien ne les arrêtera. » Les Francs, « exténués sous le métal brûlant et le poids de leurs armures », se laissent encerclés par des Vascons se déplaçant tels des prédateurs affamés. Roland désobéit à son propre Roi et libère Onneka, les Francs sont en déroute. La violence, brutale, est parfaitement restituée par Juan Luis Landa, dont on ne peut que saluer l’immense qualité du travail graphique. Finalement, ce qui transparaît de ce diptyque, c’est l’aveuglement religieux et vengeur d’un homme tout-puissant, à mettre en parallèle avec la conduite d’un guerrier devenu légendaire. Ces Chroniques de Roncevaux arborent un intérêt historique qui se double d’un authentique souffle romanesque, témoignant du talent de leur maître d’œuvre, capable de magnifier, indifféremment, paysages, expressions faciales et luttes à mort. À marquer d’une pierre blanche.
Chroniques de Roncevaux : Munjoie !, Juan Luis Landa
Glénat, avril 2022, 56 pages