Les éditions Glénat proposent le premier tome du diptyque Chroniques de Roncevaux, du scénariste et dessinateur basque Juan Luis Landa. Il y est question de l’épopée de Charlemagne au-delà des Pyrénées, en terres islamiques, où le roi des Francs, se croyant missionné par Dieu, cherche à asseoir l’emprise chrétienne sur Al-Andalus (actuelle péninsule ibérique).
Difficile de ne pas en faire état. Nous entrons dans ces Chroniques de Roncevaux ébahis par le travail graphique de Juan Luis Landa. Usant de couleurs froides, n’hésitant pas à recourir à des illustrations abruptes, l’artiste basque portraiture le Moyen-Âge à traits fins, de manière hyper-réaliste, en multipliant les tableaux vertigineux. De la première page, avec ses scènes de désolation guerrière sous un ciel nuageux, à la dernière, avec l’assaut obstiné des troupes de Charlemagne sur la ville de Saragosse, « La Légende de Roland » ne cesse d’éblouir par l’extrême minutie accordée à ses planches, qui se distinguent tant par leur violence crue (croquer dans le cœur d’un ennemi saxon) que dans ses représentations de la nature (les bois épais des hauteurs de Roncevaux, où la lumière ne pénètre qu’avec parcimonie).
L’histoire, basée sur des faits historiques, est celle de Charlemagne, qui après avoir soumis Aquitains, Lombards et Saxons, descend vers le sud de l’Europe afin de placer Saragosse, située à Al-Andalus, sous son joug. Le narrateur Angelo de Syracuse, engagé par Charles Le Grand pour conter ses exploits militaires, précise d’emblée que le roi des Francs pense avoir été choisi par Dieu pour étendre le territoire de la chrétienté aussi loin que possible. Le VIIIe siècle est en effet caractérisé par les guerres religieuses. Dans la forêt de Teutberg (actuelle Allemagne), les cadavres jonchent le sol, les nobles saxons sont pendus aux arbres. Faisant allusion au chef saxon Widukind, alors son principal ennemi, Charlemagne confie à Roland, son soldat le plus honorable : « Nous avons détruit le grand Irminsul, leur symbole le plus sacré. Nos missionnaires ont massivement baptisé son peuple. Bientôt, plus aucun partisan ne prendra les armes pour lui. »
Après la campagne contre les Saxons, Charlemagne rencontre Sulayman al-Arabi, alors à la tête d’une rébellion contre l’émir de Cordoue Abd al-Rahman. Ce visiteur étranger sollicite son aide pour conserver sa mainmise sur Saragosse, qui fait l’objet des convoitises de l’Omeyyade. Charlemagne voit d’un bon oeil la double opportunité de se voir offrir les clés de Saragosse par son gouverneur et d’établir en sus une ligne défensive au sud des Pyrénées – les païens constituant à ses yeux une menace intolérable. Quelques mois plus tard, à Chasseneuil, des centaines de soldats arrivent chaque jour pour grossir les rangs des Francs. Comtes, évêques et ducs viennent assister aux jours glorieux à venir. Le pape Adrien apporte sa bénédiction à ce qui ressemble de plus en plus à une croisade contre l’islam.
Juan Luis Landa fait preuve d’ingéniosité pour conter tous ces événements de manière claire et didactique. Il émaille en outre chaque situation d’éléments connexes éclairant les enjeux secondaires de l’épopée de Charlemagne. C’est Talendus s’échappant de sa cellule et se trouvant en position de réclamer le trône. C’est Roland voyant pour la première fois un musulman prier, ce qui revient à signifier au lecteur que les Francs s’apprêtent à combattre un ennemi dont ils ignorent tout. Ce sont des conseillers exprimant des positions divergentes (sur la saisie des trésors des villes assiégées, sur le fait de laisser les mahométans s’entretuer, sur la protection pyrénéenne suffisante pour tenir éloignés les païens et les musulmans). Pour trouver un peu de sagesse en ces temps de fureur guerrière et de ferveur religieuse, il faut s’en remettre à Angelo : « La volonté de Dieu ne peut être que les hommes tuent en son nom. Bien au contraire. »
Cet avertissement restera toutefois sans lendemain. Les troupes de Charlemagne se dirigent vers Pampelune, une vieille cité vascone fondée par Pompée, par ailleurs dernier bastion chrétien contre l’islam. Le roi des Francs y prend en otage des proches de Ximeno le Fort, un chef local, dans l’espoir de garantir la fidélité de la ville. Charles se rend ensuite à Saragosse, où Hussein l’éconduit, ce qui place Sulayman al-Arabi dans une position délicate, puisqu’il n’est plus en mesure de tenir ses engagements auprès de Charlemagne. Les Jentils, réveillés par l’arrivée des Francs, déciment dans le même temps la garnison du roi à Pampelune. C’est sur ces événements croisés que Juan Luis Landa clôture un premier tome à la fois dense et remarquablement dessiné, au sein duquel il aura éclairé les velléités de Charlemagne en Hispanie musulmane, les oppositions d’arrière-garde, mais aussi la figure de Roland, auquel le peintre français Gustave Doré avait déjà rendu hommage en son temps.
Aperçu : Chroniques de Roncevaux – 1. La Légende de Roland (Glénat)
Chroniques de Roncevaux – 1. La Légende de Roland, Juan Luis Landa
Glénat, avril 2021, 64 pages