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Le Juif errant, d’Eugène Sue : critique-feuilleton, ultime épisode

Pour rendre compte du Juif errant, d’Eugène Sue, roman long (1600 pages dans l’édition que nous lisons actuellement) et foisonnant, nous décidons donc d’en faire une critique-feuilleton, découpée en plusieurs épisodes qui paraîtront à intervalles plus ou moins réguliers, au fil de la lecture. Dans cet ultime épisode, nous parlons de pandémie et d’une conclusion impressionnante.

Cinquième et dernier épisode

Cet ultime épisode couvre la monumentale dernière partie du roman : plus de 500 pages à elle seule, regroupées en plus de 60 chapitres. Une fin énorme, à l’image de ce roman foisonnant.
Une fin apocalyptique qui se déroule sur fond de l’épidémie de choléra qui toucha Paris au printemps 1832. Une épidémie qui, dans le roman, accompagne le Juif errant comme une malédiction. Le premier chapitre de cette partie, montrant ce personnage mystérieux qui entre dans la ville avec ce fantôme verdâtre accroché à ses pas, sonne le coup d’envoi d’une conclusion à la fois terrible et, parfois, un peu maladroite.
Quelles que soient ses qualités, sur lesquelles nous reviendront bientôt, cette partie a un défaut majeur : elle est trop longue. L’enchaînement des séquences liées au complot, tour à tour ourdi puis déjoué, puis ré-ourdi, etc., est vite répétitif. Nous touchons là à un des défauts habituels des romans-feuilletons : les auteurs étant payés à la page, ils « tiraient à la ligne », selon l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’ils remplissaient le plus de pages possible pour augmenter leur rémunération. Et si ce défaut n’était pas flagrant jusque là, il se manifeste clairement dans cette dernière partie qui aurait mérité d’être plus courte.
D’autant plus que, malgré ce défaut, cette partie est ponctuée de moments impressionnants. La description de Paris ravagée par le choléra est très puissante (l’image des hôpitaux dépassés par l’afflux de malades, et les théories délirantes d’une partie de la population qui rejette l’idée d’une épidémie naturelle et reste convaincue qu’il s’agit d’un empoisonnement, donnent une étonnante modernité au roman).
Et surtout il y a ces cent dernières pages, pleines de rebondissements. Si le roman a pu paraître, parfois, assez prévisible, ce final a déjoué tous nos pronostics. C’est inattendu, dramatique et passionnant.

En guise de conclusion…
Et donc, si l’on revenait sur le roman dans son ensemble, maintenant qu’il est achevé…
Incontestablement, Le Juif errant est un grand roman. Grand par le nombre de pages, bien entendu, mais aussi par les qualités. D’abord parce que, à part lors de quelques scènes, il parvient à maintenir une tension dramatique forte. Une fois commencé, il est impossible de lâcher ce roman.
Un roman qui joue beaucoup avec les émotions. Les passages d’aventures alternent avec les scènes dramatiques, voire pathétiques. Le suspense et l’amour sont très présents. Certaines scènes grandioses ponctuent le roman à intervalles réguliers : un naufrage, la première lecture du testament, le choléra… Toute cette organisation, très structurée, très travaillée, capte l’attention des lecteurs.
Eugène Sue sait aussi parfaitement gérer la multiplicité des personnages. Des personnages créés dans un objectif de diversité, puisque nous avons aussi bien une richissime aristocrate qu’une misérable ouvrière, un jeune prince indien ou un un pauvre ancien grognard. Cette palette très riche permet d’alterner variées et de multiplier les intrigues secondaires, sans jamais perdre le lecteur. Ces protagonistes sont, certes, sinon caricaturaux, en tout cas monolithiques, mais cela n’empêche pas qu’ils soient attachants et que l’on s’intéresse vraiment à leur sort.
Et quid du juif errant lui-même ? N’hésitons pas à le dire : si vous voulez lire un roman sur ce personnage mythique, allez plutôt vers celui écrit par Jean d’Ormesson. Car dans le roman d’Eugène Sue, le juif errant apparaît trois fois en tout et pour tout, pour un total d’environ une trentaine de pages sur les 1600 que compte l’ouvrage. Ce personnage grandiose, marquant et follement romanesque, ne fait que quelques apparitions dont la rareté déçoit un peu, mais conserve cependant une dimension mythologique impressionnante.
En bref, Le Juif errant est un très bon roman, malgré quelques défauts. Roman d’aventures, drame social, tragédie sentimentale, il cumule les genres sans se départir de son unité. Cela donne envie d’approfondir l’oeuvre d’Eugène Sue.