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Une brève histoire des « affiches qui ont marqué le monde »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Michel Wlassikoff publie aux éditions Larousse un beau-livre grand format sur « les affiches qui ont marqué le monde ». Du structuralisme soviétique aux propagandes (publicitaire, étatique) en passant par la révolution informatique, l’historien du graphisme et de la typographie nous propose un tour d’horizon complet, éclairant l’évolution de l’affiche au cours des cent dernières années.

L’affiche est un outil de communication au croisement des préoccupations : la culture, la politique, le commerce, la société civile y ont depuis des décennies régulièrement recours. Elle voit le jour, en tant que discipline à part entière, à la fin du XIXe siècle, avant de gagner ses lettres de noblesse en investissant des pans entiers de la société. Durant son avènement, elle rencontre un écho chez Braque, Picasso, les dadaïstes ou les futuristes, puis se voit consacrée dans des galeries d’art dispersées aux quatre coins du monde.

Propagande. Dans L’Homme à la caméra, Dziga Vertov conçoit un « cinéma-vérité » témoignant des possibilités de loisirs nouvellement offertes par les moyens de production mécanisés soviétiques. Ce film fut lui-même inspiré par le constructivisme révolutionnaire, dont Rodtchenko, Maïakovski ou les frères Stenberg furent les plus illustres ambassadeurs. L’école allemande du Bauhaus s’en inspirera jusqu’au moment où les nazis poussèrent ses adeptes à l’émigration. Ces derniers n’étaient pourtant pas en reste en termes de propagande : si Leni Riefenstahl tourna Les Dieux du stade et Le Triomphe de la volonté, les idées de Joseph Goebbels sur l’importance de la radiodiffusion furent quant à elles illustrées par une célèbre affiche invitant les Allemands à écouter leur Führer à la radio. Pendant ce temps-là, aux États-Unis furent réemployés des graphistes chassés d’Europe : Jean Carlu y conçoit une affiche en faveur de la production, Herbert Matter fait de même avec la défense civile et Sutnar ou McKnight Kauffer les imitent. En tyrans omnipotents, Staline ou Mussolini eurent eux aussi recours aux talents des affichistes. La propagande est alors la chose la mieux partagée d’un monde divisé entre belligérants. Dans les interstices, Paul Colin dessine une Marianne aux stigmates en hommage à la France combattante et Frédéric Henri Kay Henrion, un affichiste allemand ayant fui le nazisme, dessine les Alliés brisant la croix gammée nazie. Des années plus tard, en mai 1968, l’Atelier des Beaux-Arts de Paris soutiendra les grévistes avec des affiches restées célèbres, tandis que les situationnistes inaugurent à cette occasion la bombe à peinture et perpétuent l’art du slogan impertinent.

Privé/public. Dans les années 1930, à quelques exceptions près (dont l’Exposition universelle de Paris), le modernisme est en berne, attaqué par les conservateurs. Michel Wlassikoff mentionne son renouvellement aux États-Unis en partie grâce aux campagnes de Paul Rand pour IBM à partir de 1956. Car le marketing et l’affiche font bon ménage. Pour la Compagnie générale transatlantique, Cassandre dessine le paquebot Normandie en contre-plongée. Le métro de Londres se dote d’une identité visuelle globale. Andy Warhol travaille pour BMW, Absolut Vodka ou Perrier. Bob Dylan est revu par Milton Glaser dans une illustration devenue mythique. Les cinéastes de la Nouvelle vague lâchent la peinture pour la photographie et contribuent à révolutionner les jaquettes de films. Avant eux, Bernard Lancy avait succombé au surréalisme pour La Grande illusion et Paul Rand, encore lui, avait œuvré au No Way Out de Joseph Mankiewicz. Plus social, Lester Thomas Beall fabrique des photomontages pour la REA, créée dans le but de fournir de l’électricité aux régions pauvres. Dans une étude panoptique, Michel Wlassikoff n’oublie pas d’évoquer l’exceptionnel Saul Bass (Otto Preminger, Stanley Kubrick, Alfred Hitchcock…), notamment pour son jeu avec les symboles, l’Italien Leonardo Sonnoli et son graphisme d’utilité publique (campagne contre le sida) ou encore le renouveau russe impulsé par le groupe moscovite Ostengruppe, actif dans la vidéo, l’affiche, la scénographie, le générique ou l’identité visuelle globale (site Internet, logotype, etc.). L’affiche est partout, arrimée à des causes sociales ou artistiques, créée à des fins de sensibilisation, mais aussi pour des raisons purement mercantiles. Michel Wlassikoff ne sacrifie aucune de ses finalités, mais s’intéresse aussi – et surtout – à sa conception.

Évolution. Entre les personnages stylisés de Carlu, Cassandre ou Loupot et leur homologue français Frédéric Teschner interrogeant les limites de la composition et la vision de l’affiche, il y a des dizaines d’années d’évolution constante. L’une des plus importantes fut bien entendu l’avènement de l’informatique, avec son langage Postscript, ses logiciels de mise en page et ses programmes de gestion des formes. L’Américaine April Greiman dira d’ailleurs de l’ordinateur qu’il est « un second crayon ». La pixellisation est alors pleinement intégrée dans sa démarche artistique. Mais le numérique n’est finalement qu’une réinvention parmi tant d’autres, que Michel Wlassikoff passe en revue avec érudition. À Vitebsk, on a vu l’école d’art dirigée par Marc Chagall être phagocytée par Malevitch et El Lissitzky, leurs couleurs primaires, leurs formes géographiques et leurs éléments de construction basiques. En Pologne, où une sorte d’exception culturelle fut concédée par les Soviétiques, Henryk Tomaszewski a livré des enseignements avant-gardistes à l’école des Beaux-Arts de Varsovie. Piotr Mlodozeniec suivra. La scène futuriste italienne fut caractérisée par Fortunato Depero et ses figures mécaniques multicolores. Jean Carlu s’est adonné au « beau calculé », en conceptualisant les réflexions de Juan Gris sur l’influence émotionnelle des formes plastiques et des couleurs. Max Bill fut à la pointe d’un second modernisme, à la charnière entre l’art concret, les formes géographiques et le style typographique international. Willem Sandberg, moderniste hollandais, dessina des lettres jouant avec les contreformes. Une école japonaise, composée notamment de Yokoo, Kamekura, Nagai ou Tanaka, s’exprima dans un savant mélange entre le graphisme fonctionnel occidental et l’élégant classicisme japonais. Le dessin de lettres devient une préoccupation majeure pour Makoto Saito ou Philippe Apeloig. Et le design graphique ne cesse de s’améliorer…

L’ouvrage de Michel Wlassikoff suit le fil chronologique de l’affiche. Chaque ère y étant évoquée fait l’objet d’une courte introduction didactique, avant d’être effeuillée à travers plusieurs chapitres, portant tant sur des artistes, des courants, des événements ou des œuvres particulières. En plus d’être accessible au profane, Les affiches qui ont marqué le monde constitue une énonciation brillante d’un art méconnu.

Les affiches qui ont marqué le monde, Michel Wlassikoff
Larousse, octobre 2019, 272 pages

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