Que nous dit « Le Cinéma de Claude Zidi » ?

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Chef monteur sur des programmes télévisés, Thibault Decoster est passionné par la comédie depuis l’enfance et a donc choisi d’y consacrer son premier ouvrage : une analyse détaillée du cinéma de Claude Zidi. De thèmes sociétaux en motifs récurrents, il y voit l’expression d’un auteur.

À la fin de cette monographie consacrée à Claude Zidi, Thibault Decoster rappelle qu’il vient de passer en revue la « troisième filmographie française la plus populaire de tous les temps » (80 millions d’entrées en 25 films). De fait, depuis 1971 et Les Bidasses en folie, le public s’est toujours déplacé en masse pour assister aux projections des films de Claude Zidi. Le cinéaste français n’a d’ailleurs pas manqué de le souligner lorsqu’il a reçu le César du Meilleur film pour Les Ripoux en 1985 – première comédie de l’histoire à glaner trois César au moins. Mais plutôt que de se focaliser sur les raisons de cet enthousiasme public, Thibault Decoster entend analyser l’œuvre du metteur en scène à l’aune de son originalité, de sa capacité de renouvellement (de la comédie burlesque au polar noir) et de ses motifs récurrents.

Après un court prologue, l’ouvrage débute sur un entretien inédit avec Claude Zidi. Il explique sa passion précoce pour les salles obscures, mais aussi la méconnaissance qu’on avait alors du cinéma. Ce qui se passe sur un plateau est longtemps resté secret – et donc mythifié. Comme Spike Lee (cf. Régis Dubois, Spike Lee, un cinéaste controversé), le réalisateur français a peiné à pleinement appréhender l’envers du décor filmique. Il en a toutefois gravi toutes les marches, pas à pas, en occupant tour à tour les fonctions de stagiaire, d’assistant, de cadreur, de chef opérateur, de scénariste, puis de réalisateur.

Cette parenthèse refermée, Thibault Decoster commence son effeuillage du cinéma de Claude Zidi. Accompagnées de photogrammes en couleurs, ses analyses nous mènent de film en film, décrivant l’urgence du tournage des Bidasses en folie et ses références multiples (Buster Keaton, Laurel & Hardy, Tex Avery…), un premier tournant avec Pierre Richard qui enrichit le cinéma de Zidi et confirme qu’il dépasse les seuls Charlots, la genèse étonnante de L’Aile ou la cuisse (tout part d’une banale question d’un maître d’hôtel) ou encore la consécration avec Les Ripoux, ses dialogues de Didier Kaminka (Michel Audiard était initialement pressenti) et sa stylisation voulue proche des films noirs américains des années 1940-1950.

Entre les évocations de films sont glissés des chapitres thématiques. Thibault Decoster présente Claude Zidi comme un auteur féministe. Dans ses films, argue-t-il, les femmes sont davantage des forces de caractère que des potiches. La question identitaire fait l’objet d’une entrée à elle seule. Les personnages de Claude Zidi vivent un décalage incommodant (mais cinégénique) entre ce qu’ils sont, l’image qu’ils aimeraient qu’on ait d’eux-mêmes et celle qu’ils renvoient vraiment. La résolution de ce décalage mène souvent à l’exclusion du protagoniste, qui devient du même coup le principal instigateur de l’ostracisme qu’il subit. D’une façon ou d’une autre, les héros de Claude Zidi demeurent invariablement prisonniers de leur identité. L’auteur revient aussi sur les thématiques qui ont émaillé la filmographie de Zidi (armée, malbouffe, école, consumérisme, pollution, etc.) et sur ses nombreux projets avortés.

Un cinéma d’auteur populaire ?

Finalement, comment résumer le cinéma de Claude Zidi ? Il y a cette jolie tentative, issue d’un chapitre portant sur Josiane Balasko : « S’il aborde toujours des sujets faisant grincer les dents, il ne porte jamais de regard critique, ni même analytique. Il se place plutôt en position d’observateur, de témoin de son temps et laisse le spectateur se faire sa propre opinion. » Ou celle-ci, dans un chapitre intitulé « La Critique et Claude Zidi » : « Une partie [de la critique] a toujours considéré le cinéma de Claude Zidi comme une vaste et creuse farce commerciale. Il est pourtant plutôt question d’un cinéma d’auteur populaire. Zidi nous présente sa vision du monde de film en film, en abordant un phénomène de société dans (presque) chacune de ses histoires. […] Claude Zidi nous révèle l’absurdité même de notre société en la confrontant à des protagonistes marginaux qui vont la bousculer involontairement. »

Au fond, ce que Le Cinéma de Claude Zidi nous propose, c’est de partir de ces postulats, de les étayer et parfois, aussi, de les dépasser. Thibault Decoster le fait avec une passion contagieuse et en y ajoutant des anecdotes éclairant le parcours du cinéaste français. Que l’on apprécie ou pas l’œuvre du réalisateur des Sous-doués, l’entreprise n’en demeure pas moins louable.

La Cinéma de Claude Zidi, Thibault Decoster
LettMotif, novembre 2019, 300 pages

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