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« Guns and Roses » : les objets du féminisme

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Enseignante-chercheuse en histoire, Mathilde Larrère prend le parti, original, de raconter une histoire du féminisme à travers une série d’objets porteurs de significations genrées ou détournés jusqu’à revêtir une forte connotation sociale et politique. Les illustrations inspirées de Fred Sochard, de même que des interviews ou des extraits de textes, de discours ou de chansons, viennent utilement compléter son propos.

C’est notamment pour sa visibilité et sa tangibilité que Mathilde Larrère a choisi de narrer le féminisme et ses luttes à travers l’objet. Ce dernier peut avoir une acception politique évidente – le journal, le Code civil – ou plus subtile – le soutien-gorge, la pilule contraceptive. Pourtant, chacune des entrées choisies par l’auteure trouve une légitimité indiscutable dans les récits historiques et sociaux qu’elle supporte. Et le premier chapitre, consacré à la barricade, permet déjà d’objectiver la teneur de Guns and Roses. Retranchement inhérent aux conflits sociaux, elle se lie de multiples façons avec le féminisme. Car la barricade peut être fabriquée, tenue ou ravitaillée par les femmes. Elle fait aussi l’objet d’une lithographie passée à la postérité, signée Moloch, et représentant une place Blanche investie par des femmes armées. La transition est toute faite : pendant la Révolution française, les femmes ont été exclues de l’armée et privées de fusils. En 1793, les « inutiles », c’est-à-dire les combattantes, sont priées de quitter les cantonnements. Il faudra attendre deux guerres mondiales avant que la République française n’accepte de confier des armes aux femmes. Et si ces dernières représentent aujourd’hui 12 % des effectifs de l’armée, l’idée de les voir combattre est toujours difficilement admise.

Ta-Nehisi Coates a récemment rappelé à quel point le corps des Noirs était vulnérabilisé dans l’espace public. Il l’a assimilé à l’oppression qu’ont vécue les esclaves afro-américains et leurs descendants. Dans Guns and Roses, Mathilde Larrère fait logiquement du corps féminin un enjeu capital. Cela transparaît plusieurs fois, et notamment à la faveur de textes sur le voile, le soutien-gorge ou encore la contraception. Les deux derniers exemples cités sont édifiants à plus d’un titre. Le soutien-gorge disparaît pour clamer des messages féministes. Les Femen en témoignent amplement. Il appuie aussi des métiers autrefois hautement qualifiés, dont celui de corsetière, aujourd’hui vampirisés par les plans sociaux et les délocalisations, symboles d’évolutions socioprofessionnelles nées de la mondialisation. La pilule contraceptive apparaît quant à elle duale : elle a d’abord donné aux femmes le contrôle de leur fécondité avant de devenir synonyme de pression. Mathilde Larrère en profite pour repréciser les politiques démographiques et natalistes ayant exercé leur emprise sur les naissances. À l’État malthusien cherchant à limiter les naissances à la fin du XIXe siècle ont succédé les préservatifs en caoutchouc et la cape vaginale puis une peur du dépeuplement après la Première guerre mondiale qui a fortement limité les moyens de contraception. Le ventre des femmes a alors pris un tour politique et nationaliste, et la pénalisation de l’avortement a été renforcée jusqu’à la loi Veil de 1975.

Plus loin dans l’ouvrage sont interrogés la TVA sur les protections périodiques féminines, la double journée de travail des femmes ou les écrits de Paulette Bernège sur les arts ménagers. La journaliste appelait ainsi dans les années 1920 les architectes, essentiellement masculins, à prendre en compte les tâches féminines dans les plans qu’ils dessinaient, afin de lutter contre les gestes inutiles ou harassants. Elle cherche alors à déplacer le taylorisme dans les foyers. On ne conteste pas la répartition genrée du travail domestique, mais bien les conditions dans lesquelles les femmes doivent s’y astreindre. Les ustensiles ménagers et les marques qui les commercialisent vont exploiter bientôt le filon. À travers de courts mais édifiants paragraphes, Guns and Roses explore les objets éclairant la condition des femmes. Le Code civil de 1804 y tient une place de choix, puisqu’il confère à la femme mariée un statut de mineur, une incapacité civile signifiant qu’elle ne possède autorité ni sur ses enfants, ni sur son corps, ni sur ses biens. La libre disposition du salaire, les inégalités d’héritage, l’inaccessibilité à la bourse, l’impossibilité d’ouvrir un compte bancaire ont également fait l’objet d’évolutions tardives contribuant à empêcher les femmes dans leur réalisation et leur autonomie. Guns and Roses en rend parfaitement compte.

Guns and Roses, Mathilde Larrère
Les éditions du Détour, octobre 2022, 224 pages

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