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Le point sur les « Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Ingénieur et expert en deep learning, Rodolphe Gelin publie aux éditions Flammarion Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle. Comme son titre ne l’indique pas, l’auteur s’y livre à une brève évocation historique, mais aussi technique, des IA, qu’il outrepasse ensuite en en présentant les limites.

Garry Kasparov et Lee Sedol en ont fait l’expérience : en quelques décennies de progrès technologiques fulgurants, nous avons appris aux intelligences artificielles… à apprendre. Au milieu des années 1970, le docteur Gordon Earle Moore arguait qu’un doublement du nombre de transistors présents sur une puce de microprocesseur aurait désormais lieu tous les deux ans. Ce qui est désormais présenté comme « la loi de Moore » a fait suite à une série d’innovations théoriques, conceptuelles, scientifiques et informatiques qui ont poussé les machines à battre les meilleurs joueurs mondiaux d’échecs (avec Deep Blue) et de go (avec AlphaGo), mais aussi à concourir au test de Turing et à produire du deepfake, c’est-à-dire de l’hypertrucage multimédia malveillant, en jet continu.

Dans ses Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle, Rodolphe Gelin revient d’abord en quelques dizaines de pages sur la longue histoires de l’IA. Aristote (syllogisme, cohérence, non-contradiction, tiers exclu), la logique binaire du mathématicien anglais George Boole (préfigurant le bit et les systèmes informatiques à base de 0 et de 1), Claude Shannon transformant les signaux analogiques en signaux numériques (ce qui autorise leur traitement automatique par l’électronique, via l’algèbre de Boole), Alan Turing inventant le principe du logiciel ou encore l’apport dénominatif et théorique de John McCarthy et Marvin Minsky ont tous contribué à façonner les intelligences artificielles que nous connaissons aujourd’hui – et que le cinéma n’a eu de cesse de mettre en scène, dans Terminator, Blade Runner, 2001, l’Odyssée de l’espace ou, plus récemment, Her, dont il est d’ailleurs question dans l’ouvrage.

Une fois cette genèse résumée, l’auteur creuse plus avant la typologie des IA et leurs principes constitutifs. Avec érudition et dans un souci de pédagogie, il rappelle que l’informatique classique s’appuie sur les mathématiques, alors que les intelligences artificielles se fondent plutôt sur des expériences et des concepts interagissant les uns avec les autres. Et de citer, tour à tour, les logiciels experts (qui aide à la décision selon des schémas pré-encodés), les réseaux de neurones (plus complexes, par couches, et auto-apprenants selon le principe du machine learning) ou encore les intelligences artificielles génératives (les deepfakes étant par exemple basés sur un réseau de neurones génératif antagoniste, deux machines opposées apprenant l’une au contact de l’autre). Cette évocation ne sert pas seulement à identifier les différents type d’IA, puisqu’elle permet aussi d’objectiver leurs limites et les questions qu’elles sous-tendent.

Il en va notamment ainsi de l’explicabilité de l’IA. Si un logiciel expert agit selon des données pré-encodées, une machine auto-apprenante peut prendre des décisions aberrantes sans que l’expert soit en mesure de les expliquer. Rodolphe Gelin rappelle quelques ratés mémorables, dont le grossier accident d’un véhicule autonome (parce qu’il n’avait jamais expérimenté la présence d’un camion couché sur la route) ou la catégorisation d’un chien en loup (parce que l’arrière-plan enneigé avait été associé à ce dernier au cours de l’apprentissage par renforcement de l’IA). L’auteur le martèle : nos intelligences artificielles généralisent leurs connaissances à partir de l’expérience. Mais cela peut créer des biais de toutes sortes (problèmes de spécifications, biais d’apprentissage, biais discriminants…). Il aborde aussi les enjeux éthiques, le sous-prolétariat de l’intelligence artificielle (les fameux Turcs mécaniques) ou l’infériorité des circuits électroniques sur les neurones humains en termes de dépense énergétique.

Concis et accessible, mais pas imprécis pour autant, Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle permet de faire le point sur les techniques, usages et freins actuels de l’IA.

Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle, Rodolphe Gelin
Flammarion, février 2022, 176 pages

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