Les éditions Autrement publient l’Atlas historique des épidémies, de Guillaume Lachenal et Gaëtan Thomas. Ils y reviennent, avec didactisme, sur l’histoire médicale, sociale, politique et géographique des épidémies, avec force exemples.
Les épidémies sont des maladies qui se répandent en masse dans un lieu précis et qui partagent une cause commune. Au cours de l’Histoire, elles ont contribué à modifier les paradigmes de la santé publique. L’Atlas historique des épidémies offre un regard éclairé et transversal sur leurs causes et leurs conséquences, en renouant avec une exploration des lieux, chère au philosophe Michel Foucault, plus que des pathologies elles-mêmes. Longtemps flottant dans son acception, l’épidémie a ensuite été liée à des épisodes marquants – de la peste noire à la Covid-19 en passant par la grippe espagnole –, tout en subissant les effets croisés des avancées médico-techniques et des évolutions politico-sociales. Du XIVe au XIXe siècle, les pandémies de peste et de fièvre jaune sont marquées par la mondialisation euro-asiatique puis atlantique, où les mouvements de personnes, de biens et de pathogènes sont intrinsèquement liés. L’ère industrielle amorcée au XIXe siècle voit l’émergence des pandémies des villes et des transports modernes, comme le choléra et la grippe, qui s’épanouissent dans des niches écologiques. Domestication, transformation, technique, urbanisation, mobilité deviennent les maîtres-mots de ces maladies essaimant souvent par promiscuité. Ce que Jared Diamond qualifiait de « cadeau létal du bétail » a connu plusieurs vies, avant et après Pasteur et Koch (qui découvrent les microbes), entre hygiénistes, contagionnistes et miasmatistes, dont les théories divergent et parfois coexistent, selon que l’on adopte le point de vue du puissant ou du faible…
Épidémies et sciences
L’approche scientifique des épidémies a connu un tournant majeur avec la découverte des microbes par Pasteur et Koch. Les avancées de l’épidémiologie moléculaire, avec l’utilisation des séquences génétiques des pathogènes pour retracer les épidémies, ou l’usage croissant de la bioinformatique, ont ensuite, à leur tour, grandement influencé notre appréhension de ces phénomènes sanitaires. Aujourd’hui, des outils de santé publique permettent notamment d’identifier le réservoir animal d’une nouvelle épidémie, d’analyser des clusters de transmission, d’employer statistiques, courbes ou cartographies pour démystifier ou anticiper des chaînes épidémiologiques. Les chercheurs s’efforcent depuis toujours de comprendre les mécanismes complexes de la contagion et de la propagation des maladies. Les dynamiques épidémiques, les stratégies de prévention et de contrôle font l’objet d’une attention sans cesse renouvelée, dont l’urgence est clairement apparue à l’occasion de la crise de la Covid-19.
L’étude des épidémies s’est également intéressée aux dimensions politiques, culturelles et écologiques des maladies, en interrogeant leur inscription dans l’histoire. Les liens entre colonialisme, esclavagisme et épidémiologie moderne ont par exemple été explorés par des auteurs tels que Jim Downs.
Épidémies et société
L’Atlas historique des épidémies rappelle que ces maladies ont notamment joué un rôle dans la structuration des villes et des territoires, comme l’illustre la transformation de Dakar à la suite de l’épidémie de peste de 1914, ou l’instauration de lazarets dans les grands ports méditerranéens pour protéger les populations locales de la peste. Ces maladies ont également été des facteurs de ségrégation. Les populations africaines ont parfois été considérées comme des réservoirs de virus, par exemple avec le paludisme. Mais les épidémies peuvent aussi générer des mobilisations collectives, politisant la maladie et la vie, à l’image de l’émergence d’une identité politique commune chez les lépreux en Asie.
La révolution industrielle a été marquée par des épidémies de choléra et de tuberculose, qui ont révélé les effets délétères de l’urbanisation rapide et de la pauvreté sur la santé publique. Ces crises ont parfois conduit à des réformes majeures, comme l’instauration de politiques d’hygiène publique, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et la mise en place de systèmes de santé publics. Plus tard, c’est l’émergence de nouvelles épidémies, comme le VIH/SIDA, qui a mis en évidence les liens entre maladie, stigmatisation et droits de l’homme, avec des mouvements de protestation contre la discrimination et l’exclusion des malades. L’ouvrage revient sur les cas bien spécifiques de l’épidémie d’opioïdes aux États-Unis et d’hépatite C en Égypte. Ces deux maladies peuvent être qualifiées de post-industrielles : l’hépatite C s’est par exemple développée sous la forme d’une « ruine d’un projet modernisateur », liée au barrage d’Assouan.
L’histoire regorge d’événements au cours desquels les épidémies ont influencé les organisations humaines. Les confinements récents liés à la Covid-19 trouvent leurs origines dans les sanatoriums, les léproseries ou les lazarets, avec à chaque fois cet objectif d’isoler et/ou soigner les malades. La peste noire s’est propagée des steppes mongoles aux grands ports européens par le fait des échanges commerciaux et militaires à une époque où l’empire mongol était à son apogée. La colonisation a également été un important vecteur d’épidémies, comme le montre l’impact dévastateur des pathogènes véhiculés d’un continent à l’autre lors de la découverte des Caraïbes par Christophe Colomb en 1492. Les populations indigènes des Amériques ont subi un véritable choc bactériologique. Il faut imaginer des navires chargés de plantes, d’animaux et d’hommes, tous porteurs de pathogènes inconnus de ces groupes isolés depuis 20 000 ans. En Afrique, la maladie du sommeil a provoqué une crise sanitaire majeure et suscité une intervention des puissances coloniales. Une cartographie sur la distribution de cette maladie au Congo en 1910 montre l’instauration par les Belges d’un cordon sanitaire, le triangle de l’Uélé, à travers lequel la puissance coloniale protégeait une zone saine et utile économiquement.
En tout état de cause, il est important de noter que les épidémies et les sociétés sont en interaction constante et dynamique, chaque épidémie influençant et étant influencée par les structures sociales, économiques et politiques existantes.
Épidémies et nature
L’aspect naturel des épidémies est clairement établi, tant au regard des écosystèmes et de la biodiversité qu’à l’aune des pathogènes sautant des animaux à l’homme. L’Atlas historique des épidémies rappelle à dessein que la diversité biologique minimise les risques d’épidémie par effet de dilution, en réduisant les chances pour un pathogène de trouver un hôte réceptif. Il évoque le rôle du bétail, des animaux domestiques et des rongeurs dans la propagation des épidémies. Dans son ouvrage La Fabrique des pandémies, Marie-Monique Robin explicitait déjà longuement ces mêmes problématiques.
On note depuis des années une accélération du rythme d’émergence de nouveaux pathogènes. Zika, ébola, Covid, monkeypox : notre rapport à la nature, aux espaces et espèces sauvages, à l’agroalimentaire plus largement, conditionne l’apparition des épidémies actuelles et futures. Ce n’est certes que l’une des facettes des épidémies et de la manière dont cet atlas en fait état. Mais l’on devine aisément qu’elle est appelée à prendre une ampleur croissante, entrelaçant toujours plus l’environnement et la maladie contagieuse, pour des raisons évidentes (contacts, promiscuité) et plus subtiles, largement rapportées dans ce passionnant ouvrage.
Atlas historique des épidémies, Guillaume Lachenal et Gaëtan Thomas
Autrement, mai 2023, 96 pages