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« Anarchy in the USE » : la grande bouillie bruxelloise

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Au Diable Vauvert publient le très référencé Anarchy in the USE, de l’auteur britannique John King. Ce dernier met en scène un pouvoir dictatorial drapé dans le mensonge, au point de réhabiliter les grandes figures du nazisme ou du fascisme.

Auteur de Football Factory, le romancier britannique John King s’est toujours intéressé à la culture populaire et aux classes ouvrières. Avec Anarchy in the USE, il s’en tient à ses fondamentaux tout en embrassant un genre très codifié, la contre-utopie. Et si les footballeurs du London United ou les groupes punk marginaux figurent en bonne place dans sa dystopie, ce sont surtout les références à George Orwell, Aldous Huxley ou Ray Bradbury qui y pullulent. On pourrait en effet porter au crédit de ces prestigieuses figures tutélaires les agglomérations d’États revisitant l’Histoire à des fins totalisantes (1984), le recours à des sexeuses et au fucky-fucky en guise de distraction (Le Meilleur des mondes) ou la grande liquidation des supports physiques dans la culture, sorte d’autodafés sous couvert de consommation numérique (Fahrenheit 451). La double-pensée, les îlots de résistance ou la hiérarchisation et la personnalisation du pouvoir (via la caste des Crates et les contrôleurs vénérés) poussent encore plus loin les effets de miroir entre Anarchy in the USE et ces grands romans de la contre-utopie.

Mais Anarchy in the USE est avant tout un roman (fleuve) sur l’aveuglement doctrinaire. Son personnage principal, Rupert, apparaît à ce point fanatisé qu’il demeure incapable de prêter l’oreille aux discours remettant en cause l’USE, les Bons Euros et leurs Entreprises bénéficiaires. Il ne ressent que du dégoût, au mieux de l’indifférence, pour les vestiges sociaux et culturels d’un passé qu’il espère à jamais révolu. Son paradis, c’est un monde uniformisé, parlant une même langue, payant dans une monnaie unique et partageant une idéologie commune, où la moindre déviance pourrait être traquée et annihilée à l’aide d’outils numériques tels que le réseau InterZone, la puce greffée la Paume et le logiciel Soupç. Un monde où Hitler est encensé, la pédophilie tolérée, la torture des animaux encouragée, la prostitution institutionnalisée (et néo-coloniale) mais les livres interdits et les résistances, tuées dans l’œuf. On tient là, sans l’ombre d’un doute, une satire de l’Union européenne et du néolibéralisme, mais aussi de la technosurveillance et du solutionnisme de la Silicon Valley.

D’Anarchy in the USE, on retient un monde pathétique, étrange, anesthésié par la propagande et les distractions soupesées. La nuance y est désespérément effacée, rejetée à la marge de Londres, quasi inaudible. Le roman de John King déborde d’ironie. Il épaissit les traits et épingle des politiques de plus en plus dévoyées. Il a cependant le tort d’arriver des années après les chefs-d’œuvre de Jack London, Georges Orwell, Evgueni Zamiatine ou Aldous Huxley. On peut certes difficilement lui reprocher le talent de ses prédécesseurs, ni le caractère séminal de leurs écrits. John King fait d’ailleurs preuve d’inventivité dans ses descriptions d’un monde mis en coupes réglées par une dictature hautement centralisée. Mais il n’empêche, on peine à pleinement embrasser le propos, trop démonstratif, à ne pas déceler les emprunts, nombreux. Anarchy in the USE est une dystopie intéressante, bien ficelée, pas dénuée de fulgurances, mais elle risque d’apparaître quelque peu convenue aux amateurs du genre.

Anarchy in the USE, John King
Au Diable Vauvert, septembre 2022, 512 pages

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