Alors qu’on approche de la fin, l’Étrange Festival montre son visage en affirmant ses thématiques autour de la masculinité toxique et de l’émancipation féminine. Knives and Skin, Koko-di Koko-da, Lillian et Gwen, développent des portraits de personnages qui s’enferment dans l’aliénation où hommes et femmes se blessent sans savoir communiquer.
– Knives and Skin, Jennifer Reeder, 2019 : L’histoire n’est pas nouvelle, et à notre époque elle en est presque tristement banale. Celle d’une jeune femme qui paie les frais d’une attente masculine insistante et intransigeante qui ne comprend pas le non, ou le rejette avec violence. Elle ne veut pas aller jusqu’au bout avec ce garçon, il l’abandonne donc en plein milieu de la nuit et Carolyn disparaîtra.
Sorte de Laura Palmer moderne, victime d’une Amérique hypocrite et faussement puritaine, l’histoire de Knives and Skin est déjà vue. On pense d’ailleurs fortement à Twin Peaks tant son ombre plane sur le film de Jennifer Reeder jusque dans son ambiance qui vire vers le songe onirique. Malheureusement, la comparaison s’arrête là car jamais le récit n’arrivera à trouver la finesse dans cette chronique adolescente poussive où tous les malheurs du monde et les situations les plus malaisantes arrivent aux mêmes groupes de personnes. A trop forcer le trait, Reeder tombe dans un misérabilisme antipathique qui certes cherche la nuance, mais ne trouve jamais la subtilité. Le film ne juge pas, et c’est sa vraie force, mais son pathos plombant tend à virer au ridicule à force d’aller toujours plus loin. Alors certains personnages arriveront à sortir du lot et se montrer vaguement attachants, mais à trop vouloir en dire et trop chercher à dénoncer Knives and Skin survole beaucoup de ses sujets. Le casting surnage comme il peut au milieu de tout ça, mais les acteurs sont parfois handicapés par l’écriture qui ne semble jamais vraiment savoir quel ton aborder. Reste une réalisation léchée, notamment la sublime photographie, mais là encore ampoulée par une mise en scène poseuse et excessive qui accentue le caractère irréel et factice d’une histoire qui tend pourtant à vouloir dénoncer des vérités. Knives and Skin se perd dans sa propre démarche et loupe sa cible, se transformant en raté assez gênant.
– Koko-di Koko-da, Johannes Nyholm, 2019 : Réalisateur suédois qui est particulièrement friand du mélange entre l’animation et les prises de vues réelles dans ses projets, et de son folklore natal, Johannes Nyholm s’est composé une filmographie en forme de recueil de contes, où une certaine naïveté enfantine se confronte à la cruauté du monde adulte. Prenant les airs d’une comptine entêtante, son Koko-di Koko-da s’impose comme son idée très spécifique d’un jour sans fin.
Comme le réalisateur l’a expliqué lui-même lors de sa présentation du film, la violence et la noirceur qui émanent de son Koko-di Koko-da a un but qui se veut cathartique. Une sorte de thérapie par le mal qui ne cache pas totalement ses cartes dans un film concept pas aussi cryptique qu’il le voudrait ou qu’il le devrait. On voit vite où le film veut en venir et il base son concept sur des fondations fragiles, surtout qu’il a trop tendance à venir enfoncer des portes ouvertes avec ses interludes animés qui viennent expliquer quelque chose déjà pourtant compris par le spectateur. A l’image de son auteur qui nous donne les clés de compréhension avant même le lancement de son film, on sent constamment la volonté de nous prendre par la main dans une démarche paradoxale. Une démarche qui va essayer de mêler la radicalité de l’approche tout en restant parfaitement accessible sur le fond. La sauce ne prend pas, surtout que même sur sa violence Koko-di Koko-da n’ose jamais franchir la limite bien sage qu’il s’est posée. Même si son folklore a un aspect fascinant et que la mise en scène possède quelques jolies trouvailles quand il s’agit de faire grimper la tension, il reste relativement inconséquent dans son message et sa façon de le transmettre. On reste devant une histoire déjà vue de deuil familial, où un couple doit se retrouver en affrontant la douleur et l’horreur de la perte. Un conte trop simpliste pour correspondre à un public adulte mais trop macabre pour être abordé par un plus jeune, et comme il ne trouve jamais sa voie il risque aussi de ne pas trouver son public.
– Lillian, Andreas Horvath, 2019 : Présenté cette année au Festival de Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, Lillian avait fait une certaine sensation. Premier long métrage de fiction pour Andreas Horvath qui s’est jusqu’ici fait connaître pour ses documentaires, il a voulu pour ce premier film s’intéresser à une histoire vraie. Celle d’une émigrante Russe dans les années 20 qui a voulu retourner dans son pays à pieds, partant de New York pour rejoindre l’Alaska et traverser le Détroit de Béring. Un périple incroyable dont la jeune femme ne revint jamais car elle disparut sans laisser de trace.
Déjà passionnant par son histoire, Andreas Horvath aurait très bien pu se contenter de cela pour en faire son film, mais il est clair qu’en voyant Lillian, on n’est pas en face d’une œuvre qui cherche la facilité. Actualisant le récit qui se passe désormais de nos jours, Horvath va signer une chronique à la radicalité étonnante tant Lillian cherche à créer l’inconfort. De la composition particulière de ses plans à son mutisme quasi-constant en passant par sa bande son presque surannée, le film de Horvath navigue plus dans les eaux du docu-fiction pour signer un regard pénétrant sur l’Amérique profonde post-Trump. Le parcours du personnage, même si central, deviendra presque la toile de fond de ses rencontres menaçantes dans un pays aliénant qui s’érige sur ses mises en garde et s’impose en vaste territoire hostile où l’humanité se fera rare. Lillian est un personnage presque extraterrestre, le film nous renvoie d’ailleurs souvent au Under the Skin de Jonathan Glazer dans l’âpreté de sa forme et la particularité de son regard, où l’on suit dans les deux cas une femme perdue dans une terre qui la rejette et les persécute. On se retrouve face à une œuvre extrêmement politique, où l’Amérique n’est plus la terre d’opportunités à laquelle on cherche à accéder mais un pays dangereux que l’on tente de fuir. Pertinent et actuel, Lillian en devient une œuvre thématique passionnante mais aussi un voyage sensoriel assez saisissant dont il est juste dommage que la froideur du regard documentaire étouffe les émotions. Horvath en oublie parfois son récit au profit de son propos, ce qui privilégie l’aspect universel de son œuvre mais en occulte parfois le côté humain, ce qui s’avère dommage pour une film qui passe autant de temps à les observer. Mais on reste quand même face à une intrigante et belle proposition de cinéma.
– Gwen, William McGregor, 2018 : Ridiculement baptisé La terre des oubliés en français, Gwen se veut être un film dans la mouvance du récent The Witch de Robert Eggers. Malheureusement il n’en aura jamais la force ni la radicalité, car même s’il parvient à raconter une histoire loin d’être inintéressante, il rate nombre de ses effets.
Se focalisant intégralement sur le point de vue de son personnage principal, qui prête son nom au titre, Gwen est un film qui se veut volontairement cryptique et trompeur dans son approche et sa forme. Dans une société et une époque où les femmes étaient mise de côté, et où les enfants n’avaient pas leur mot à dire quant à leur destin, on se retrouve à parcourir le film à côté d’une adolescente qui se retrouve prise entre les secrets de sa mère et l’hostilité des villageois qu’elle ne comprend pas. Pendant la majeure partie de son récit, Gwen va jouer de cette ignorance pour nous perdre entre des interrogations aux accents fantastiques et une approche plus terre-à-terre sur une famille persécutée pour qu’une compagnie minière puisse racheter ses terres. Où, encore une fois, la cruauté masculine érige un besoin de domination dont les femmes paient souvent le prix. Le problème est qu’on évente assez tôt le vrai du faux et on se retrouve à comprendre plus rapidement les enjeux du récit que sa protagoniste, ce qui fait que le film perd très vite de sa substance. De plus, ses tentatives horrifiques n’en deviennent que plus grossières et s’apparentent juste à des passages inertes juste là pour voguer sur le sensationnalisme. C’est d’autant plus dommage car cela compose le plus gros du film et ne sert que de cache-misère pour voiler la maigreur de son fil narratif. Que ce soit l’histoire d’un père absent, les prémisses d’une romance non développée, etc, Gwen lance beaucoup de pistes qui n’iront nulle part et se composent de personnages relativement vides. Seule la mère sera vraiment développée car même Gwen reste une spectatrice passive et souvent dépassée. Ce qui souligne bien la dureté du contexte et de la conclusion du film, mais qui reste un argument narratif assez pauvre car Gwen est incapable d’apporter autre chose que ce regard. On le devance souvent et il n’a pas suffisant de matière pour vraiment nous retourner.