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FIFAM 2022 : Rencontre avec Charles Tesson, critique de cinéma

Sévan Lesaffre Critique cinéma LeMagduCiné

Rédacteur en chef des Cahiers de 1998 à 2003, délégué général de la Semaine de la critique pendant dix ans, Charles Tesson enseigne l’histoire et l’esthétique du cinéma à La Sorbonne Nouvelle, Paris III. Invité à la 42ème édition du FIFAM en soutien à la nouvelle directrice du festival Marie-France Aubert, son ancienne élève, il revient sur la formation et le parcours de critique.

Vous dites souvent que le cinéma est une passion, un « enlèvement ». Comment est-il entré dans votre vie ?

Charles Tesson : Enfant de la campagne dans une petite ville de Vendée au début des années 1960, j’aime dire que j’étais un jeune cinéphile « des champs ». L’expérience du cinéma dans une salle de projection m’a immédiatement séduit. J’étais fasciné par l’idée de voyager dans d’autres vies, de découvrir d’autres univers. J’ai apprécié le cinéma précisément parce qu’il ne ressemblait à aucun autre art, qu’il m’embarquait dans le récit en m’emmenant ailleurs. J’avais l’impression, en tant que spectateur actif, d’approcher des corps et des lieux hors de mon environnement réel. Jeune, j’ai été notamment marqué par Ben-Hur de Wyler et Lawrence d’Arabie de Lean. Mon père, lui, admirait Duvivier. L’envie de faire du cinéma mon métier m’est venue après avoir vu les films de Bresson et Dreyer, lesquels ont accompagné mes études.

Quel a été votre parcours pour devenir critique de cinéma ?

J’ai commencé en tant qu’autodidacte après des études de lettres modernes à Nantes. J’aimais lire sur les films que je voyais. C’était le début des études cinématographiques à l’université, à la Sorbonne Nouvelle à Paris III. On y apprenait le langage cinématographique, la théorie du cinéma, l’analyse de film ainsi que la rigoureuse méthodologie qu’elle requiert. Socle de solides connaissances, cette formation m’a permis d’avoir un pied sur les classiques de l’Histoire du cinéma tout en défrichant le cinéma contemporain. C’est là que j’ai eu le privilège de rencontrer Serge Daney, qui était chargé de cours en parallèle de son activité de critique, mais aussi Pascal Bonitzer et Serge Toubiana.

Comment avez-vous débuté votre carrière ?

Je me suis lancé en 1979, à un moment charnière pour l’histoire des Cahiers du cinéma. Ils sortaient d’une période maoïste très militante. Rédacteur en chef de l’époque, Daney souhaitait restructurer et donner un nouveau souffle à la revue en recrutant à la fois des critiques et des journalistes de cinéma. On peut dire que je suis arrivé au bon moment, à une époque où émergeaient les nouveaux cinéastes américains tels que Carpenter, Dante, Landis…

Quelles sont vos attentes lorsque vous visionnez un film ?

Je n’ai pas d’attente particulière. Au contraire, j’aime être surpris par le film et ne pas savoir où il va m’emmener. Plus on verrouille les attentes et moins on se laisse surprendre. J’aime les films qui font bouger les lignes. Je pars du principe qu’ils doivent répondre à un besoin personnel de raconter une histoire. Il faut rester, non pas naïf, mais ouvert et être dans un état d’éveil, de curiosité et de sensibilité première aux choses. La critique cinématographique est une forme de transmission, de partage. Elle doit éclairer, évaluer l’œuvre par rapport à son ambition, tout en donnant le goût du cinéma par la confrontation des points de vue. Dans le cadre de La Semaine par exemple, le sélectionneur a aussi un rôle important de découvreur puisqu’il peut lancer la carrière d’un jeune réalisateur. Il influe directement sur le succès du film qui va ainsi pouvoir trouver son public, en voyageant de festival en festival.

Durant cinq ans, vous avez été le Président de l’Aide aux Cinémas du monde, où vous vous impliquiez directement dans la création et la production des cinéastes de demain. C’est un geste politique fort. 

Oui, mon ambition de départ était de révéler des continents de cinéma jusque là peu connus ou sous-estimés, notamment l’Asie et l’Afrique. L‘Aide aux Cinémas du monde s’inscrit dans cette tradition car il y a un vrai désir de cinéma, y compris dans des pays qui n’ont pas de politique culturelle. Très sélective, la commission apporte un soutien artistique et économique, tout en encourageant ou en étant à l’écoute de ce qui bouge dans des cinématographies plus fragiles, plus invisibilisées, qu’il nous semble nécessaire d’aider à advenir sur la scène mondiale. Tout cela permet d’enrichir la carte du jeune cinéma mondial, de constater son évolution, avec des centres d’intérêt qui se déplacent, l’Aide aux Cinémas étant un peu le sismographe attentif de ce qui agite et travaille le cinéma à l’échelle du monde. 

Quels sont vos conseils pour rédiger une « bonne » critique ?

Là encore, il n’y a pas de recette. Je dirais qu’il faut éviter la critique « check-up », sorte de bilan descriptif pré-construit qui empêche toute dynamique. La critique doit rester un mouvement, un élan et par conséquent un geste spontané. Elle suppose bien entendu d’avoir un rapport concret à l’expérience esthétique du film : son sujet, sa forme, son rythme, sa « couleur »… Il est important d’apprendre à élaguer le texte pour ne pas le rendre indigeste et accepter de trier ses idées pour ne pas tout dire du film. 

Avec le numérique, le rapport à la critique et à son support a changé. Quelle est votre appréciation ? 

En effet, l’extension de la critique aux blogs de cinéma, spécialisés ou amateurs, a permis une démocratisation de l’exercice qui a de facto fragilisé la revue papier. Je reste pourtant assez optimiste, car aujourd’hui encore, il y a un vrai désir d’écriture sur les films, une forte volonté d’assumer et de partager sa subjectivité. La critique n’est pas morte tant que les jeunes continuent d’écrire sur les films.

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