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Cannes 2024 : The Apprentice, le pouvoir héréditaire

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

L’ascension de Donald Trump n’est plus une fiction jusqu’à aujourd’hui. Ali Abbasi s’est emparé de l’une des figures américaines les plus controversées. Avant même que l’on s’attarde sur la présidence du « guerrier solitaire », The Apprentice nous donne à voir comment un homme aussi peu confiant et charismatique s’est bâti un empire financier conséquent.

Synopsis : Années 1970. Les jeunes années de l’entrepreneur immobilier, Donald Trump, et sa relation avec l’homme politique, Roy Cohn.

Après s’être fait remarquer avec Border, une romance arrosée d’une aura fantastique qui lui a valu en 2018 le prix cannois Un Certain Regard, le cinéaste, d’origine iranienne, avait électrisé la compétition avec Les Nuits de Mashhad en 2022. En changeant le décor de la société iranienne, plutôt à l’aise pour encourager le féminicide, contre celui des soirées privées et des buildings new-yorkais avec The Apprentice, Abbasi attire notre attention sur le pacte faustien entre un jeune promoteur immobilier et un avocat rompu au jeu de pouvoir. Cette alliance imprévue révèle ainsi la déliquescence d’une nation dont le trône est maudit par des moments d’égarement ou de cupidité. Richard Nixon fut le premier à passer sur l’échafaud médiatique. Et les suivants s’en sont servi comme martyr afin de ne pas répéter la tragédie. Mais peut-on vraiment échapper aux lois immuables du pouvoir ?

Le jeu de la gagne

Timide, le teint un peu pâle, pas très à l’aise dans son costume ou avec les mots, Sebastien Stan campe un Donald Trump qui tutoie l’anonymat au milieu des patrons des grands manitous de New York. Nul gouvernement ne peut les atteindre, car ce sont eux qui manipulent l’audience dans les coulisses et qui sont les principaux actionnaires d’un pays dont les richesses semblent inépuisables. S’il est impossible d’évoquer le rêve américain de nos jours, il fut un temps où les opportunistes se succédaient, un peu à l’image du vice-président de George W. Bush, Dick Cheney. La narration d’Abbasi rappelle d’ailleurs celle qu’Adam McKay a employée pour brosser le portrait de ce politicien de l’ombre dans Vice.

Ce Trump nous est donc présenté avec beaucoup de cynisme et un humour noir qui ferait frémir les républicains conservateurs dans son genre. Son image est petit à petit dégradée par un nouveau mode de pensée qui le domine et qui le transforme en prédateur sexuel. Cela n’aurait pas été possible sans le coaching de Roy Cohn, incarné par un Jeremy Strong intransigeant et pourtant plein de sensibilité dans le dernier tiers de l’intrigue. Il s’est rapidement imposé comme l’avocat de Trump et un mentor d’exception. Malheureusement pour lui, Trump, à l’image du docteur Frankenstein et de sa créature, commence à prendre conscience de son pouvoir et de son emprise sur son entourage. Ce dernier finit par revendiquer les compétences qu’il a acquises pour se les réapprinoprier, tout en laissant son maître mourir à petit feu. C’est ainsi que la succession est en marche et que les lois du marché fonctionnent. Il n’y a pas d’amitié qui tienne, seulement des affaires. Chaque erreur de l’un doit nécessairement être convertie pour le bénéfice de l’autre.

De cette relation, on y discerne les prémisses d’une émission de téléréalité, nommée The Apprentice, où plusieurs candidats tentaient d’arracher une place précieuse dans l’entreprise de Trump. La célèbre sentence éliminatoire « You’re fired ! » (« Vous êtes viré ! ») provient de ce concept phare de NBC entre 2004 et 2015. L’importance de cette émission a également été traitée dans une série documentaire pour Netflix, Trump : Un rêve américain (2018), car elle démontre que ce processus dépasse le stade du divertissement et qu’il est encore possible de régner sur une Amérique anti-communiste. Il est tout de même navrant que le cinéaste ne cherche pas à dépasser la caricature de Trump ou à sortir du format à sketches qui casse un peu le rythme. Reste que cet anti-biopic rafraichît la sélection en son milieu.

The Apprentice est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024.

Fiche Technique

Réalisé par : Ali ABBASI
Année de production : 2024
Pays : Canada, Danemark, Irlande
Durée : 120 minutes

Responsable Cinéma