La sage-femme du roi : une femme de caractère !

Ce roman graphique raconte l’histoire d’Angélique du Coudray (1712-1794) qui révolutionna le métier de sage-femme, mais finit sa vie tristement, quelque temps après… la Révolution !

L’album s’attache à l’itinéraire d’Angélique du Coudray dans sa carrière de sage-femme. A ses débuts, elle observa une situation guère brillante, puisqu’alors en France beaucoup d’accouchements se terminaient par de véritables drames familiaux, décès de la mère et/ou de l’enfant, mais aussi naissances d’enfants abimés, parfois de manière franchement handicapante. Il faut dire qu’à l’époque, les femmes enceintes n’étaient pas assistées comme aujourd’hui. Beaucoup attendaient le dernier moment pour appeler quelqu’un et il s’agissait bien souvent d’une matrone (pour reprendre le terme employé par les auteurs). Certes, ces femmes avaient l’habitude, mais dès qu’un imprévu se présentait, les risques se multipliaient.

De Paris à Thiers

L’album commence alors que Mme du Coudray exerce à Paris, en tant que sage-femme diplômée. Elle fréquente les salons parisiens, y rencontre des chirurgiens et des personnalités. A cette occasion, la BD fait sentir la difficile position des femmes par rapport à celle des hommes. Ainsi, les chirurgiens font la loi dans le domaine de compétences d’Angélique du Coudray, malgré son excellente réputation. C’est ainsi qu’elle est amenée à accepter une proposition du baron de Thiers, ville située en Auvergne : s’installer là-bas pour y apporter son expérience et ses compétences, sachant qu’il y aurait tout à faire.

Réticences et découragement

L’essentiel de la BD suit donc Angélique du Coudray à Thiers, ce qui ne manque pas d’intérêt. En effet, les habitudes sont particulièrement ancrées et elle doit faire face à une forme d’obscurantisme contre laquelle il s’avère très difficile de lutter, ce qui la surprend et la décourage un temps. Alors qu’elle s’imaginait devoir faire face à de nombreux cas concrets d’accouchements et aussi bien-sûr à pouvoir organiser des séances de formation, elle voit ces provinciaux se fermer sur son passage, refuser catégoriquement de recourir à ses services. Et même s’il me paraît difficile de savoir si cela correspond bien à ce qu’Angélique du Coudray a vécu à Thiers, cela sonne juste. Il faudra un heureux concours de circonstances pour que la situation commence à évoluer en sa faveur.

Une femme inventive

Ce roman graphique montre donc comment les pratiques d’accouchement ont évolué grâce à Angélique du Coudray, à une époque où bon nombre de mères accouchaient dans des conditions précaires, avec la gamme possible des conséquences plus ou moins désastreuses qu’on imagine. Elle dû faire face à de nombreuses réticences. Les accoucheuses traditionnelles voyaient d’un mauvais œil son arrivée qui risquait de leur faire perdre leur position. Les futurs parents se méfiaient de cette parisienne désireuse de changer des habitudes perpétuées de génération en génération. Quant à faire œuvre pédagogique, encore eut-il fallu que le public visé soit réceptif. A l’appréhension de la nouveauté, s’ajoutait la difficulté de la transmission. En effet, Mme du Coudray envisageait la rédaction d’un mémoire récapitulant ses connaissances. Idée intéressante, mais peu adaptée à un public d’illettré(e)s. C’est ainsi qu’elle en arriva à concevoir ce qu’on connaît désormais sous le nom de machine portant son nom. En réalité, il s’agit d’une sorte de mannequin reproduisant l’anatomie féminine à connaître pour pratiquer un accouchement. Par la force de sa persévérance, Angélique du Coudray réussit, progressivement, à conquérir son public en lui proposant un moyen de se faire la main sans le moindre risque, de façon à mieux connaître l’essentiel au moment de passer à la pratique.

Une BD pour un hommage mérité

D’aspect engageant, cet album au format moyen se caractérise par une belle couverture dont l’illustration, de par sa composition et sa luminosité, fait penser à un tableau d’époque. L’objet à l’apparence bizarre qu’on distingue à droite, posé sur la table, n’est autre que la machine d’Angélique du Coudray que la lecture de la BD fait découvrir plus en détail. Mais, bizarrement, la photo de l’appareil présentée en fin d’album ne comporte aucune légende, alors qu’une recherche apprend qu’il n’en reste qu’un seul exemplaire en bon état, au musée Flaubert et d’histoire de la médecine, à Rouen. Malgré une organisation des planches bien variée, avec notamment quelques dessins de grand format, le corps de la BD s’avère plus appliqué que la couverture. Le scénario d’Adeline Laffite et les dessins d’Hervé Duphot sont avant tout illustratifs plutôt qu’inspirés. Et l’ensemble ne correspond que très imparfaitement au titre retenu, puisqu’il faut attendre les dernières planches pour comprendre pourquoi Angélique du Coudray fut surnommée la sage-femme du roi, alors que cela correspond à environ vingt-cinq années de son existence. De ce quart de siècle, nous aurons droit à une carte de France présentant son itinéraire et quelques chiffres révélateurs de sa remarquable activité. On en retient surtout que, malgré son abnégation, Angélique du Coudray n’a pas eu la reconnaissance qu’elle méritait, car la Révolution est venue tout remettre en question. C’est quasiment oubliée, que cette pionnière s’éteint le 17 avril 1794.

La sage-femme du roi, Adeline Laffite (scénario) et Hervé Duphot (dessin)
Delcourt (collection Mirages) : sorti le 3 mai 2023
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3.5