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Rétrospective Martin Scorsese : La valse des pantins, critique du film

Clôturer la rétrospective Scorsese du Magduciné avec la Valse des pantins est sans doute emblématique de la place de ce film dans l’inconscient collectif : un film à part, un film mineur de Marty Scorsese, le film auquel on pense en dernier recours, le film auquel, à la limite, on ne pense pas…

Synopsis: Un comique méconnu, pour se faire reconnaitre, enlève le présentateur d’un show télévisé et n’accepte de le libérer qu’à la condition de participer à son spectacle.…

The Tonight Show.

Il faut dire qu’après l’extrême retentissement de son précédent film, Raging Bull, avec les Oscars, les BAFTA, les Golden Globes comme s’il en pleuvait, il semblait impossible que Martin Scorsese reste sur le même registre, sous peine de subir des comparaisons inutiles. Il a donc changé de braquet et a opté pour un film en apparence différent de ses prédécesseurs, différent de Mean Streets, de Taxi Driver, ou encore de Raging Bull. Pourtant ce film est loin de correspondre à toutes les idées reçues à son égard, et figure un jalon marquant dans l’œuvre de Scorsese pour un nombre croissant de cinéphiles « scorsesephiles ». Un film visionnaire aussi, quand on voit combien la culture de la célébrité devient la règle et la norme plus de 30 ans après. Le « quart d’heure de célébrité pour tous » prédit par Andy Warhol en 1968 était d’actualité dans les années 80, et l’est dans des proportions encore plus inquiétantes en 2015.

La Valse des pantins (The King of Comedy, pour le titre original) est un film qui n’était pas destiné initialement à Martin Scorsese. Après que ce dernier l’a gentiment éconduit au début des années 70, le scénariste Paul Zimmerman a confié son manuscrit au producteur Robert Evans, qui en a proposé la réalisation à Milos Forman. Faute de financement, le projet atterrit en bas de la pile jusqu’à ce qu’il réapparaisse entre les mains de Robert de Niro. Fort d’une collaboration de plus en plus étroite et de plus en plus fructueuse, l’acteur a réussi à convaincre le cinéaste de reprendre ce scénario, et le film voit enfin le jour en 1983. Il faut dire sur que la quinzaine d’années qui s’est écoulée, la propre vie du cinéaste est venue faire écho de manière plus aigüe à ce thème de la célébrité.

L’histoire est celle de Rupert Pupkin (Robert de Niro), un homme qui veut devenir le Roi de la Comédie et qui pour y arriver frise la psychopathie borderline qu’on rencontre dans les colonnes des tabloïds : des doux dingues à la limite de l’érotomanie qui kidnappent ou assassinent l’objet de leur désir. Ici, l’obsession de Rupert est Jerry Langford (Jerry Lewis). Plus exactement, il est obsédé par l’idée de devenir lui-même un comique de stand-up, à l’instar de son idole Jerry (Une sorte de Johnny Carson/Jay Leno/ Jimmy Fallon), et son objectif est de rentrer coûte que coûte en contact avec ce dernier.

A la suite d’un énième pied de grue devant la station de télévision, d’où Jerry sort souvent sans un regard pour ses très nombreux fans massivement agglutinés devant le portail, Rupert finira, après d’habiles manœuvres, par se retrouver dans la voiture de Jerry. Hâbleur, il essaie de placer sa marchandise, son désir de disposer d’un créneau dans le show de Jerry pour présenter ses propres numéros ; afin de se débarrasser rapidement de lui, Jerry lui dit distraitement de prendre contact avec sa secrétaire.

A partir de là, Rupert entre dans un délire hallucinatoire dans lequel il pense être devenu l’ami de Jerry. Il va le harceler à son bureau, à son domicile jusqu’à une sorte d’assaut final. Le film est censé être une comédie, et pourtant la manière dont Rupert s’enfonce dans ce monde imaginaire fait froid dans le dos. La terreur qui se lit sur le visage des domestiques lors de son intrusion « amicale » est pire que s’ils avaient été menacés par une arme dangereuse (alors même que Rupert esquisse des pas de danse joyeux avec sa fiancée Rita, – Diannhe Abbott, l’épouse de de Niro à l’époque – ignorante de la forfaiture). La manière dont il répète ses numéros au sous-sol de la maison de sa mère chez qui il habite encore à 34 ans, entre Liza Minelli et Jerry Langford/Lewis, tous deux en carton-pâte, et plus encore celle dont il met en scène des tonnes d’applaudissements adressés à lui, cette manière n’est finalement pas très différente des agissements de tous les autres héros malades de Scorsese, que ce soit Jake la Motta et ses tendances autodestructrices (Raging Bull), le désaxé Travis Bickle (Taxi Driver), l’aliéné de Shutter Island ou le Loup sauvage de Wall Street. Rupert est pathétique, agaçant, attachant, on ne sait plus s’il délire ou s’il manipule son entourage, et Robert de Niro aurait bien pu décrocher un autre Oscar pour le rôle, tant sa composition est riche et inspirée.

Le film n’est donc pas une comédie, si ce n’est une comédie noire et grinçante, et le personnage de Masha vient encore étoffer une vision bien sombre de la société avide de reconnaissance. Masha est une autre fan obsessionnelle de Jerry, interprétée par une Sandra Bernhard quasi débutante mais comme habitée par la folie du personnage. Avec Rupert, ils vont organiser pour des motifs visiblement différents, le kidnapping de Jerry. Le cas de Masha est au moins aussi intéressant que celui de Rupert : les yeux exorbités, la mise débraillée, là voilà soudain belle, apaisée et émouvante dans son tour de chant quand l’objet de ses fantasmes se retrouve au bout de son arme, impuissant, tout d’un coup devenu insignifiant puisqu’ accessible…

Quant au personnage de Jerry, hautain, condescendant, l’antipathie qu’on peut éprouver pour lui s’estompe quand on suit le personnage en dehors de la lucarne magique de la télévision : comme tous les autres personnages, hors du cadre, il n’est plus rien, rien qu’une tristesse de plus, une quasi-victime de la célébrité que l’opulence du mode de vie ne parvient pas à protéger de la solitude, bien au contraire. Jerry Lewis apporte à son jeu une sobriété juste et inhabituelle qui sied au rôle et au film.

La Valse des pantins a une certaine résonnance avec le récent Maps to the Stars de David Cronenberg dans ce qu’il suggère sur la célébrité, non pas le talent, mais la célébrité per se. Comme Rupert le résume si bien en une seule phrase : « It’s better to be a king for a night than a shmuck for a lifetime », et comme Cronenberg le montre à sa manière toujours radicale dans son dernier film, Andy Warhol avait raison, et même si la Valse des pantins a une facture plus sobre et plus classique que ses grands succès, Martin Scorsese a eu raison de réaliser ce beau film prémonitoire qui s’adresse au Rupert Pupkin qui sommeille en chacun de nous.

La valse des pantins – Bande annonce

La valse des pantins – Fiche technique

Titre original : The King of Comedy
Date de sortie : 18 Mai 1983 / Reprise 18 Mai 2011
Réalisateur : Martin Scorsese
Nationalité : USA
Genre : Drame
Année : 1982
Durée : 110 min.
Scénario : Paul D. Zimmermann
Interprétation :Robert De Niro (Rupert Pupkin), Jerry Lewis (Jerry Langford), Diahnne Abbott (Rita), Sandra Bernhard (Masha), Margo Winkler (La réceptionniste), Shelley Hack (Cathy Long), … ainsi que Joe Strummer, Mick Jones, Paul Simonon et tout l’entourage de The Clash crédités au générique comme « vermine ambulante » (Street scums)
Musique : Robbie Robertson
Photographie : Fred Schuler
Montage : Thelma Schoonmaker
Producteurs : Arnon Milchan, Robert F. Colesberry
Maisons de production : 20th Century Fox, Embassy International Pictures
Distribution (France) : Reprise – Carlotta Films
Récompenses : Meilleur scénario original : Paul D. Zimmermann, BAFTA Awards 1984
Budget : 20 000 000 USD

 

Redactrice LeMagduCiné