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Le Congrès d’Ari Folman : la numérisation du cinéma

Le Congrès n’est pas la suite de Valse avec Bachir mais en est une belle continuité. Une continuité, parce qu’Ari Folman accentue son introspection mémorielle et la matérialisation des traumas qui peuvent guider les hommes et les femmes à sombrer dans une certaine forme de néant.

Mais alors que Valse avec Bachir était un long métrage d’animation dans son intégralité, Le Congrès contient 30 premières minutes de prises de vue réelles pour ensuite glisser dans l’animation la plus colorée et délurée. Le ton du film est donné dès le premier plan : une actrice, Robin Wright, qui joue son propre rôle, avec le visage face caméra et les larmes qui glissent sur sa joue, regarde inerte son agent lui remémorer tous les mauvais choix qu’elle a pu faire pendant sa carrière. En un seul plan, Le Congrès sent d’emblée l’odeur de fin du monde.

C’est la fin d’une actrice qui, à bientôt 45 ans, n’a presque plus aucune offre qui arrive sur la table. Sa carrière n’en est plus une et elle s’occupe de son fils, gravement malade, qui dans plusieurs années, deviendra aveugle et sourd. Une seule possibilité lui est proposée : celle de se faire scanner et de voir une grosse boite de production utiliser son image, ou autrement dit, ses clones numériques, pour un nombre de blockbusters illimités. Mais pour ce faire, elle doit faire profil bas pendant 20 ans. C’est la fin d’une actrice, mais aussi la fin d’une certaine idée du cinéma, d’un artisanat technique et manuel dont l’aventure humaine se métamorphose dans le résultat d’un agglomérat d’algorithmes et d’effets synthétiques. Les deux sont, dans les 30 premières minutes, à chaque fois jumelées : la consommation d’un nouveau type de cinéma dont les codes déshumanisent la notion même de l’acteur et l’actrice. Les films en question ont besoin de visages, de violence, d’émotions affichées mais n’ont pas besoin d’incarnation. Un clone, un hologramme suffisent amplement à remplir les salles de cinéma : pourtant derrière cette dématérialisation de l’identité, se génère l’intemporalité du métier d’acteur qui retranscrira ad vitam aeternam la jeunesse et la fougue de l’humanité. Sauf que cette intemporalité est synonyme d’aliénation, dissimulant une perte d’altérité évidente et un consumérisme imparable de l’âme. Comme une mort annoncée, à l’image de ces plans où l’on voit Robin Wright marcher dans les couloirs de la production comme si elle allait à l’abattoir.

Cette première partie est d’un brio sans égal : alors que le questionnement sur le cinéma et son avenir aurait pu devenir opaque , réac’ et sentencieux, Ari Folman a cette brillante faculté de construire ce désenchantement à travers le regard inerte de son actrice. Partie qui se finit dans l’émotion la plus palpable avec cette séance de scanner où Harvey Keitel (l’agent) crie son amour et son admiration pour son actrice. Le réalisateur arrive parfaitement à organiser sa pensée par le prisme de l’humain. C’est alors 20 ans plus tard que commence cette deuxième partie, où Robin Wright sera l’invitée d’honneur du Congrès de la société de production, dans un environnement numérisé où le monde entier deviendra un parc géant où chacun se créera un avatar. De ce fait, Le Congrès bascule dans la science fiction et la bizarrerie animée la plus totale : on pense aux traits abstraits de Osamu Tezuka, à la farandole hybride de Satoshi Kon, aux attraits existentialistes de Matrix (la pilule pour la réalité morne et apocalyptique face à l’hallucination divinatoire), et d’un point de vue, de la philosophie, est presque un anti Ready Player One (la soustraction de la réalité par l’immatérialité de l’avatar).

Cette deuxième partie riche, psychédélique et passionnante semble parfois un peu brouillonne, farfelue, partant vers un nombre de pistes qui ne cesse de s’allonger et voulant parler autant du cinéma que de la société générale : notre rapport au cinéma, la société qui se module par sa façon  de consommer ses plaisirs, l’identité qui se détruit pour se reconstruire, cette envie de l’Homme de se détacher de ses barrières corporelles, la déshumanisation de notre perception de la réalité ou même le virtuel comme remède aux maux du monde réel. C’est donc un monde en déliquescence qui offre ses plus belles paillettes : le point culminant de Le Congrès, malgré ses pyrotechnies visuelles, sa course à la phosphorescence, est le regard de cette actrice, qui n’a qu’une seule envie : celle d’avoir le choix, de garder son libre arbitre pour pouvoir exister, et non pas seulement subsister. Dans sa vie, comme dans sa carrière, ses choix, mauvais ou bons, ont été guidés par le seul horizon du bonheur et la sécurité de son fils. C’est le fil rouge du film, qui derrière sa volonté d’en montrer beaucoup, sait très bien faire parler la fibre émotionnelle de sa direction artistique et narrative : embrasser l’humain, qui est au centre de tout. 

Synopsis : Robin Wright (que joue Robin Wright), se voit proposer par la Miramount d’être scannée. Son alias pourra ainsi être librement exploité dans tous les films que la major compagnie hollywoodienne décidera de tourner, même les plus commerciaux, ceux qu’elle avait jusque-là refusés. Pendant 20 ans, elle doit disparaître et reviendra comme invitée d’honneur du Congrès Miramount-Nagasaki dans un monde transformé et aux apparences fantastiques…

Bande Annonce – Le Congrès

Fiche Technique – Le Congrès

Réalisateur : Ari Folman
Scénario :  Ari Folman (provenant du roman éponyme de Stanislaw Lem)
Genre : Drame/ Animation
Durée : 2h03
Date de sortie : 3 juillet 2013