Eddie Murphy, Morgan Freeman, Ernie Hudson, Rafiki… Il a été et restera à jamais leur voix. Mais en plus d’avoir été un doubleur de prestige, il a également été un comédien, scénariste, réalisateur et producteur engagé, prêt à critiquer le racisme et colonialisme français. Med Hondo nous a malheureusement quittés le 2 mars 2019, à l’âge de 82 ans…
Que ce soit dans le milieu du cinéma, des séries TV et (surtout) des animés japonais, le doublage français est devenu un sujet des plus tabous auprès des spectateurs. Si certains continuent de visionner dans la langue de Molière, beaucoup d’autres préfèrent se rabattre sur la version originale pour apprécier pleinement le jeu des acteurs/actrices. Pour éviter que les répliques soient « modifiées » pour qu’elle nous soit compréhensible, au risque d’en dénaturer le sens (ce qui arrive bien souvent, notamment avec les jeux de mots). Pour essayer de fermer les yeux sur certaines inepties de casting vocal, comme Frédéric van den Driessche qui double à la fois Liam Neeson, Javier Bardem et… Vin Diesel. Et franchement, nous ne pouvons les blâmer de faire un tel choix. En effet, quitte à choisir, autant regarder le dragon de La Désolation de Smaug avec l’intonation de Benedict Cumberbatch au lieu du manque de présence de Jérémie Covillaut. Ou entendre le vrai rire démentiel du Joker version Heath Ledger dans The Dark Knight plutôt que le rire forcé de Stéphane Ronchewski. Avec ces exemples, difficile de les contredire les rétracteurs au doublage. Et pourtant, nous ne pouvons leur rappeler que l’enfance de chacun a été bercée par les voix de quelques-uns. Au point de nous faire penser qu’il est impossible de ne pas regarder certains films et séries en Français (la trilogie Retour vers le Futur, Les Simpson, South Park…). Et que la plupart d’entre elles sont devenues indissociables des acteurs doublés : Richard Darbois/Harrison Ford, Patrick Poivey/Bruce Willis, Céline Monsarrat/Julia Roberts, Maïk Darah/Whoopi Goldberg… Les exemples restent nombreux ! Et si nous commençons l’article de cette manière, c’est pour redonner un peu d’estime au métier qu’est le doublage, désormais entaché par l’opinion publique et le fait que l’on privilégie des célébrités populaires sans expérience dans le milieu (Jamel Debbouze, Cyril Hanouna, Louane Emera…) pour attirer du monde en salles. Pour vous rappeler que, comme la plupart des comédiens, certains resteront éternels. Comme Abib Mohamed Medoun Hondo, plus connu sous le nom de Med Hondo, immense doubleur qui nous a hélas quittés le 2 mars 2019 à l’âge de 82 ans…
Né en Mauritanie en 1934, Hondo arrivera en France 1959 avec à son CV des postes tels que docker et cuisinier. Ses armes, tout comme ses congénères du doublage, il les fera par la voie du théâtre via des cours d’art dramatique lui permettant de jouer dans des registres d’auteurs (Shakespeare, Tchekov…) avant d’être engagé sur divers pièces. Le cinéma et la télévision feront également appel à lui par la suite, mais dans des rôles secondaires ou bien de figuration. Sa notoriété, il la fera surtout dans le milieu vocal en imposant sa voix légendaire dès 1968, en participant au doublage de bien des films, dessins animés et séries TV jusqu’en 2016. Une bien longue carrière qui lui aura donné l’occasion de prêter sa voix à des personnages cultes de notre enfance : Rafiki dans Le Roi Lion et ses suites, l’Âne dans la saga Shrek, Boule dans Le Monde de Nemo et sa séquelle Le Monde de Dory… À des acteurs de renommée : Morgan Freeman (Se7en, Million Dollar Baby, Gone Baby Gone…), Carl Weathers (Rocky 1 à 3, Predator…), Ernie Hudson (la saga S.O.S. Fantômes, The Crow…), Laurence Fishburne (Cotton Club, Boyz N the Hood…)… Et de porter l’étiquette de « comédien de doublage attitré des acteurs Noirs », Med Hondo cassera plus d’une fois ce préjugé en donnant de la voix à des personnalités Blanches ou d’autres origines : Berry Gordy (Le Dernier Dragon), Lance Henriksen (Aliens, le Retour), Ben Kingsley (Gandhi, Suspect Zero)…Là aussi, les exemples sont nombreux. Mais malgré cette piqûre de rappel, rien ne saurait égaler sa prestation pour franciser Eddie Murphy, l’acteur qu’il aura décidément dans la peau en doublant l’intégralité de ses films de 1982 (48 Heures) à 2011 (Le Casse de Central Park). La star hollywoodienne aura bien eu d’autres voix à son actif (Lionel Henry, Serge Faliu, Jean-Michel Vovk…), Hondo restera à tout jamais comme celui qui aura su rendre Murphy tout aussi drôle, charismatique et inoubliable que dans ses meilleures années (la saga Le Flic de Beverly Hills).
Mais même si la majorité des comédiens de doublage ne sont pas connus que pour leur voix et leur carrière « minimaliste » à l’écran pour le grand public, il serait des plus insultants d’arrêter le parcours de Med Hondo à cela. En effet, l’homme ne s’est évidemment pas contenté de sa notoriété vocale pour se faire un nom. Et ne l’a tout simplement pas attendue pour se faire une place dans le milieu. Outre le fait de jouer les comédiens de théâtre, il a également officié dans ce domaine en tant que metteur en scène. Ce qui lui a permis de prendre de l’importance au point de créer en 1966 sa propre troupe, Griotshango. Au cinéma, il participe à la création du Comité Africain des Cinéastes, devient membre de l’ARP (société civile de réalisateurs, scénaristes et producteurs fondée en 1987 par Claude Berri) et se lance dans la réalisation et la production de ses propres longs-métrages, qu’il scénarisera lui-même au préalable : Les Bicots-nègres, vos voisins (1973), Nous aurons toute la mort pour dormir (1977), West Indies ou les nègres marrons de la liberté 1979), Sarraounia (1986, avec le Prix du Fespaco en poche), Lumière noire (1994), Watani, un monde sans mal (2002)… Des œuvres dans l’ensemble cinglantes, ayant pour thématiques le racisme, l’esclavage et le colonialisme français. Et qui auront marqué les cinéphiles, comme en témoigne sa première réalisation, Soleil Ô, présenté à Cannes en 1970 et qui sera repris par la Croisette en 2017 lors d’une sélection de classiques.
Vous l’aurez bien compris, Med Hondo n’était pas qu’une simple voix mémorable. Il était également un artiste engagé. Un homme à la carrière exemplaire. Quel dommage que cette dernière soit méconnue du grand public et qu’elle se dévoile au grand jour lors de son décès et des multiples hommages qui lui sont rendus… Le doublage français a beau ne pas être de taille depuis les années 2000 (époque où il est fait à la va-vite pour contrer le piratage et les sorties précipitées en salles), les doubleurs restent avant toute chose des comédiens. Des hommes et des femmes qui ne se reposent pas sur leurs lauriers et leur voix. Mais qui participent pleinement à l’art et la culture sous bien des aspects (le théâtre, l’écriture, la musique…), et ce dans une indifférence quasi-totale. Saviez-vous qu’Adrien Antoine (Henry Cavill, Chris Hemsworth…) et Christophe Lemoine (Jack Black, Cartman…) formaient un duo musical qui se produit dans un bar de Montmartre ? Que Donald Reignoux (Jesse Eisenberg, Jonah Hill, Titeuf…) et Alexis Tomassian (Justin Timberlake, Fry de Futurama) étaient des cascadeurs à moto ? Que la plupart d’entre eux (Jean-Philippe Puymartin, Dorothée Pousséo, Julien Kramer, Patrick Floersheim, Barbara Tissier…) sont ou ont été directeurs artistiques, à savoir aux commandes du doublage d’un film ? Plus que rendre hommage au grand doubleur qu’était Med Hondo, cet article rend également hommage à ce métier jugé si simple et vu d’un œil indifférent par la majorité des gens. Un grand merci, M. Hondo, de nous rappeler qu’en plus d’avoir bercé notre enfance, vous avez apporté quelque chose à l’art…