Dans son dernier film, Le Garçon et le héron, Hayao Miyazaki met en scène un jeune garçon dont la mère vient de mourir… qui part à l’aventure et à sa rencontre. Une quête d’identité à peine masquée dans un dédale de couleurs et de souvenirs, de feu aussi. Cette rencontre entre un personnage enfant et sa mère, elle aussi encore enfant, constitue un paroxysme dans la représentation de la quête d’identité au cinéma. Céline Sciamma l’a elle aussi mis en scène dans Petite maman. Dans les films qu’elle réalise ou pour lesquels elle est scénariste, la construction de l’identité est au cœur des réflexions. Analyse en quelques films.
Céline Sciamma parle à ses films. On le découvre dans une séquence où elle lit une « lettre au film » écrite avant la réalisation de Portrait de la jeune fille en feu dans (interview donnée à Augustin Trapenard pour Plumard). La réalisatrice parle à ses films comme elle parle à l’intimité du spectateur. Dans des scènes très simples et très quotidiennes, elle raconte l’identité de ses personnages enfants. On pense notamment à Tomboy et ses parties de foot ou aux scènes de Petite maman avec les crêpes et les balades en forêt. D’ailleurs, les deux films partagent des scènes de forêt, en lisière de la ville et de la vie, pour dire que tout est encore à construire pour le personnage. Il se dégage de ces films une simplicité née aussi du dispositif. Tomboy a été tourné en vingt jours sans préparation préalable avec les comédiens quand Petite maman reprend, en les dépouillant, les décors de son enfance. Céline Sciamma confiait en 2011 à Libération, qu’elle voulait : « être avec eux au présent. Le travail fut en grande partie un jeu qui se jouait à la périphérie du film. Toujours, je leur donnais quelque chose à faire auquel je participais : dessiner, manger, danser, jouer au ballon, se baigner. Ce jeu, à un moment donné, devenait un plan, puis de plan en plan, un film « . L’identité chez Sciamma vient donc d’abord de la fulgurance du présent. Dès Naissance des pieuvres, de l’ennuie de l’adolescence naissait la rencontre, la fascination. Dans Ma vie de Courgette, dont elle a écrit l’adaptation cinématographique, les orphelins recherchent une place dans le monde et c’est aussi à travers leurs regards, leurs jeux que Céline Sciamma les raconte. On pense notamment aux marques faites sur le bois pour identifier la taille des enfants par le père adoptif à la fin du film … un marqueur du temps qui passe, du corps qui change et de l’identité qui s’affine, sans se figer.
Chez Céline Sciamma, l’identité se construit (aussi) dans la violence, on pense notamment au scénario de Quand on a 17 ans où l’amour entre les deux protagonistes nait d’abord dans une lutte au corps à corps. La question du masque compte également beaucoup dans la construction que propose la réalisatrice. Dans Bande de filles, le personnage principal refuse les identités imposées et tente de trouver la sienne, en endossant des rôles très marqués, comme pour mieux les rejeter. Le film ne décide jamais ce qu’elle deviendra. La quête d’identité est donc centrale dans le travail de Céline Sciamma et particulièrement dans ce film, qui suit un personnage par le corps, presque exclusivement par lui, sans jamais le dénuder, dans ses choix et dans sa transformation. Marième a 16 ans et, si elle ne sait pas encore ce qu’elle veut faire, elle sait ce qu’elle ne veut pas: devenir une femme au foyer, faire des ménages, se marier, se ranger et encore moins faire un CAP à l’issu de sa deuxième troisième. C’est après cet échec scolaire qu’elle entre dans le groupe, dans une « bande de filles ». Elles sont trois et la hèlent soudain, Lady veut l’emmener à Paris avec elle et ses deux acolytes. Si Marième refuse ce n’est que pour mieux accepter par la suite. Pour se sentir protégée, soulevée par la force du collectif. Dès les premières images, dès la première scène qui vous happe, sorte de chorégraphie sportive sur fond de musique puissante, le ton est donné: on s’affronte au corps à corps, au désaccord. La lumière, l’euphorie puis le retour, la nuit, le groupe se disloque peu à peu, Marième est seule. C’est sa première étape, accepter de ne pas faire comme tout le monde, refuser les maigres choix offerts et, surtout, vivre son adolescence. Là encore, le projet est de vivre « au présent » avec le personnage, sans savoir encore ce qui adviendra d’elle : « les questions d’identité sont un terreau à fiction inépuisable, des belles promesses de cinéma (…) des mascarades où sous tout masque se dessine un autre masque, sans qu’on puisse dessiner des traits fermes, un visage définitif » (interview Libération).
Dans le travail de Céline Sciamma, la question de l’identité ne peut se détacher de celle de la sincérité comme de la simplicité. Même quand elle raconte une histoire d’amour, toujours dans le présent de cette histoire, avec Portrait de la jeune fille en feu, la question de la naissance du désir, de ce qui se joue dans les regards, dans l’intimité, dans la rencontre, compte tout autant que la réalisation effective de cet amour. Le souvenir de l’amour qui se construit est habité par cette phrase toute simple » si vous me regardez, qui je regarde, moi ? ». L’identité (amoureuse autant que personnelle) se construit aussi par le regard porté sur soi par les autres et inversement. Si La réalisatrice revient cependant toujours à l’enfance, c’est que c’est un âge des possibles, un âge du ici et maintenant : « le caractère ludique de tout ça, ce qu’on s’autorise à faire de plus grand parce que c’est le cœur battant des enfants, c’est cette intensité émotionnelle là… » (voir interview pour Le Bleu du miroir en juin 2021). L’identité est donc aussi liée chez Sciamma à une puissance émotionnelle qu’elle ne retrouve pas plus tard dans la vie, bien qu’elle sache aussi la faire éclater dans Portrait de la jeune fille en feu. Il n’y a rien de plus fort cependant dans son cinéma que la scène de Tomboy où Lisa demande de nouveau à Laure/Mickaël de se présenter … comme si les deux enfants se rencontraient pour la première fois, et que tout, éternellement, pouvait recommencer.