ABC… ART
Au fait, L’Abécédaire artistique existe aussi en livre !
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L’Abécédaire Artistique
Cet abécédaire vous parlera de :
Art en général, peinture, arts graphiques, sculpture, gravure, littérature, poésie, musique, cinéma, Histoire, gastronomie, traditions, arts vivants, théâtre, opéra, philosophie, etc.
Rendez-vous un jeudi sur deux pour une chronique d’art illustrée où vous découvrirez 5 définitions artistiques issues de lettres de l’alphabet choisies aléatoirement.
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All over
catégorie : arts plastiques, expressionnisme abstrait, peinture abstraite, nom masculin de l’anglais (partout).
Comme vu dans l’entrée dripping de l’Abécédaire artistique n°24, on doit le all over (comme le dripping) à l’artiste américaine Janet Sobel. C’est en 1945 que son travail artistique s’affranchit des règles et se met à recouvrir la feuille. Comme nous l’avons également vu, Janet Sobel n’aura pas le loisir de développer sa pratique du dripping : allergique à la peinture, elle travaillera par la suite aux crayons de couleurs, et, si le dripping est aujourd’hui associé à Jackson Pollock, Sobel poursuivra néanmoins dans la technique du all over, à l’aide de ses crayons.
Mais alors, qu’est-ce que le all over ? C’est tout simplement le recouvrement homogène de toute une surface par répétition des formes et motifs, en dépassant du tableau. Le all over peut se prolonger à l’infini, et permet à l’artiste de sortir du conditionnement des limites de la toile, de la feuille, etc.
Le résultat ? La pratique du all over produit une sorte de confusion entre l’espace de la peinture et l’espace du spectateur. Cela résulte de l’absence de bord ; on peut imaginer les motifs du all over dépasser de la toile, se poursuivre sur le mur, à l’infini. Sans bord pour différencier l’espace du tableau et celui du mur, la peinture se retrouve dans le même espace que le spectateur.
Le all over, en même temps qu’il fait disparaître la question des limites du tableau, annihile aussi la profondeur, et donc dissocie la forme du fond. Les lignes se superposent, paradoxalement sans se superposer. Elles passent les unes sur les autres, dans une surface plane, mais pas les unes au-dessus des autres. Sans profondeur, le tableau devient un champ plan sur lequel les lignes se combinent et créent le all over.
Ainsi, ces motifs affranchis de la toile et de la profondeur créent une nouvelle relation entre le tableau et son spectateur, ou son artiste. Une relation qui montre la peinture comme matière, donc une relation matérielle. Aujourd’hui, le all over n’a plus rien d’avant-gardiste, il est partout ; notamment dans le champ du design… où il a, en fait, toujours existé sous la forme de motifs.
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Gargouille et grotesque
catégorie : sculpture, architecture, art roman, art gothique, gargouille : nom féminin respectivement du latin et du français (garg désignant le gosier par onomatopée et goule désignant la gueule) ; grotesque : nom masculin de l’italien grotta (grotte).
Vous connaissez certainement les gargouilles, ornant les façades des cathédrales gothiques, mais savez-vous les distinguer des grotesques ? Peut-être avez-vous souvent pris une gargouille pour un grotesque, et vice-versa ?
Sur le papier, les deux types de statues se ressemblent : une forme monstrueuse taillée dans la pierre, issue d’un bestiaire fantastique et effrayant, perché sur les remparts d’édifices impressionnants. Et pourtant, une différence de taille oppose ces deux types d’ornements, indiquée subtilement par leur étymologie. Si dans le nom des gargouilles, on entend le gargouillis de l’eau, c’est parce que ces figures difformes et grotesques ont en permanence la gueule ouverte : leur fonction est de cracher l’eau. C’est pourquoi, dans le corps des gargouilles est bien souvent dissimulée une gouttière, ou le robinet d’une fontaine. Les grotesques, quant à eux, n’ont aucune autre fonction que d’être grotesques. Leur nom vient de la grotte dont pourraient être issues ces figures de pierre à l’apparence chthonienne.
Vous savez à présent distinguer une gargouille d’un grotesque. Ce deuxième type de statue répond d’ailleurs également au nom de chimère.
D’abord apparues dans l’art roman, les gargouilles et les grotesques sont pourtant l’apanage du style gothique. C’est au début pour protéger les bâtiments des évacuations d’eau que les gargouilles font leur apparition, leur corps étendu ou leur long cou faisant jaillir l’eau de pluie bien loin des murs des édifices qu’elles ornent. Toutefois leur esthétique monstrueuse, parfois animale et plus rarement humaine, a surtout pour but la protection des bâtiments (souvent religieux) qu’elles défendent de leurs traits propices à éloigner le mauvais œil et effrayer les démons.
Les gargouilles et les grotesques ont continué de fasciner bien après leur âge d’or qui prend fin aux alentours du XVIème siècle. En 1831, Victor Hugo les remet au goût du jour en décrivant Quasimodo, le personnage principal de son roman Notre-Dame de Paris, comme « une chimère vivante » qui se balance au bout d’une corde, parmi les gargouilles de la cathédrale. Onze ans après la parution du livre, en 1842, les travaux de restauration de Notre-Dame de Paris – et ses gargouilles – débuteront.
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Liebestod
catégorie : musique, opéra, théâtre, littérature, nom masculin de l’allemand liebe et tod (respectivement amour et mort : mort d’amour).
Le liebestod est un thème artistique qui prend naissance dans l’opéra mais se développe dans la littérature. Il désigne la fascination romanesque pour la mort des amants ou la mort résultant d’un amour. Signifiant en allemand « mort d’amour », le liebestod tire son nom de l’air final de Tristan und Isolde, opéra dramatique donné en langue allemande et signé Richard Wagner (1865).
Dans cet air à couper le souffle et réputé particulièrement difficile à chanter, Isolde agonise pendant presque neuf minutes, chantant à la fois son trépas mais aussi son amour pour Tristan. De ce final époustouflant, le terme liebestod a glissé vers d’autres genres, notamment vers la littérature. Il y désigne ce thème souvent rencontré d’une histoire d’amour qui ne peut s’accomplir que dans la mort des amants.
On peut évidemment citer la pièce tragique Roméo et Juliette, de William Shakespeare (1597), mais aussi le précédemment évoqué Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, qui se solde par la mort non seulement d’Esmeralda, mais aussi de Quasimodo et de Frollo. L’Histoire est aussi parsemée d’occurrences du liebestod, par exemple avec le suicide de Marc Antoine en 30 avant J.-C., alors qu’il pense que son amante Cléopâtre s’est elle-même donnée la mort, et qui a pour conséquence qu’elle se suicide effectivement environ une semaine plus tard. Enfin, bien plus récemment, le thème des amants qui meurent est au cœur de La Nuit des temps, roman fascinant de René Barjavel (1968).
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Maniérisme
catégorie : arts plastiques, beaux-arts, peinture, gravure, fresque, nom masculin de l’italien « maniera » (manière).
Le maniérisme est un mot à double sens. S’il peut désigner, par moquerie, des œuvres d’art un peu maniérées, le maniérisme est surtout un courant artistique d’importance, qui prend d’abord son essor en Italie, avant de gagner toute l’Europe. On limite généralement le maniérisme à la période allant de 1520 à 1580.
Le maniérisme, c’est, sans surprise, une façon de peindre les corps et les espaces avec des inclinaisons particulières dans les poses, donnant à voir une esthétique maniérée. Toutefois, ce courant tire son nom de la manière du peintre, au sens de son style, sa façon de voir et de représenter la scène (sa touche), par opposition à la manière réaliste. Ce courant italien naît, en effet, pour s’affranchir des règles d’une représentation trop réelle et maîtrisée qui apparaît à la Haute Renaissance (anatomie et proportions respectées, perspectives, etc.). Un peu à la manière des préraphaélites, quelques siècles et quelques milliers de kilomètres plus tard (voir l’entrée éponyme de l’Abécédaire artistique n°12).
Dans les œuvres maniéristes, l’espace est confus, et les corps des personnages soumis à une torsion et même un effet d’étirement (notamment leur cou). Le positionnement des membres est courbe, un rien déroutant et pas vraiment réaliste, avec un effet de pose. Les bras sont doux, ronds, les corps semblent mous mais conservent une certaine stature, les coups sont très longs, les mains affectées.
Au niveau des coloris, le maniérisme produit des œuvres aux couleurs vives mais paradoxalement délavées, voire pastels. Les maniéristes ne rejettent pourtant pas tous les enseignements de la Renaissance. En effet, ces coloris pastels seraient le résultat de l’influence des fresques de Michel-Ange ornant le plafond de la chapelle Sixtine, réalisées de 1508 à 1512 (voir l’entrée « fresque » de l’Abécédaire artistique n°24), dont les tons presque acidulés et encore vifs à l’époque – avant d’être endommagés par le temps puis restaurés – auraient plu aux maniéristes. Michel-Ange lui-même a participé au maniérisme, en réalisant, vingt ans après son travail dans la chapelle Sixtine, les fresques du Jugement Dernier, dans un style maniériste (couleurs, corps, espace). En peinture, El Greco, Pontormo ou encore Le Parmesan, célèbre notamment pour sa Madone au long cou (1534-1535) très maniériste, sont de grands représentants de la peinture maniériste. En gravure, on peut citer Jacques (de) Bellange, et Giambologna en sculpture, parmi de nombreux autres artistes.
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Ready-made
catégorie : arts plastiques, art moderne, art contemporain, performance artistique, nom masculin de l’anglais (prêt fabriqué).
Qu’est-ce qu’un ready-made ? En art, un ready-made désigne l’utilisation d’un objet pris tel quel ou presque comme œuvre d’art.
On doit la pratique du ready-made à l’artiste français Marcel Duchamp. On croit souvent, à tort, que le premier ready-made est un urinoir à l’envers intitulé Fontaine, pourtant, l’artiste a l’année précédente exposé un peigne en acier, sobrement intitulé Peigne, par jeu de mots avec le subjonctif du verbe peindre. En effet, Marcel Duchamp est friand de jeux de mots – il publiera d’ailleurs ses écrits sous le titre Marchand du sel en 1959.
Le peigne se rapporte à la peinture, comme nombre des ready-mades de Duchamp, qu’il voit comme des moyens de supplanter une peinture désormais obsolète. Pour l’artiste français, la peinture se retrouve remise en question par la société en pleine industrialisation, industrie qui se glisse jusque dans l’atelier et les habitudes du peintre, avec l’apparition des tubes de couleurs.
Auparavant, le peintre produisait lui-même sa peinture à l’huile dans son atelier. A présent, il se procure des tubes prêts à l’emploi (« prêts fabriqués ») et n’a donc plus de couleurs personnelles, mais les mêmes couleurs que tous les autres artistes. Pour Marcel Duchamp, le métier même de peintre est remis en question ; pour demeurer artiste, il doit donc évoluer. C’est ainsi qu’il s’intéresse aux objets du quotidien et que lui viennent les ready-mades.
En 1917, un an après son Peigne, l’artiste réitère donc le ready-made au Salon des indépendants (Société des artistes indépendants) de New York. C’est un salon sans jury, ouvert à tous, pourvu que l’œuvre ait un titre, une date et une signature. Après le peigne l’année précédente, Duchamp choisit cette fois d’exposer un urinoir. Parce qu’il fait partie du comité d’organisation, il décide de signer son travail du pseudonyme R . Mutt pour Richard Mutt. Fontaine est le titre de l’œuvre : un simple urinoir de faïence posé à l’envers.
Malgré le titre, la date et la signature, ainsi que l’absence de jury, le comité refuse l’urinoir de Duchamp, jugé trop trivial et sans lien avec l’art. L’artiste décide de ruser en demandant à un ami de chercher l’œuvre le jour de l’exposition, et de faire un scandale en constatant qu’elle n’a pas été acceptée. L’ami en question, bon comédien, va même jusqu’à prétendre qu’il voulait l’acquérir.
En effet, pour Duchamp, s’il n’est pas exposé, il ne s’agit pas d’une œuvre, mais d’une simple pissotière. C’est l’exposition qui va donner à l’objet de céramique son caractère d’œuvre d’art. En le choisissant, en l’élisant à l’exposition, Duchamp a fait de cet urinoir une pièce d’art à part entière. De la même manière que le peintre ne crée plus sa couleur en mélangeant liant et pigments, mais simplement en choisissant un tube industriel. Ainsi, peu importe que l’urinoir, soit, comme les tubes de peinture industriels, « prêt fabriqué » (ready made), il n’en est pas moins une œuvre d’art. Au même titre que les toiles ne sont que des assemblages de ready-mades (couleurs toutes faites sorties d’un tube). On parle alors de nominalisme pictural (pour Duchamp, peindre, c’est nommer une couleur, la choisir).
L’avenir du ready-made ? Révolutionner les définitions du champ artistique : l’art est-il beauté, est-il virtuosité, est-il l’œuvre de la main de l’artiste ? Il permet ainsi, entre autres, à l’art conceptuel de prendre son essor.
Rendez-vous dans en janvier pour 5 nouvelles définitions artistiques. Pour vous proposer un contenu toujours aussi passionnant, l’Abécédaire Artistique est mis en ligne un jeudi sur deux – il est surtout actuellement en vacances de fin d’année. A l’année prochaine !