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« Ténébreuse » : seuls contre tous

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Vincent Mallié et Hubert publient aux éditions Dupuis, dans l’excellente collection « Aire libre », le second tome de Ténébreuse, récit habilement construit et mâtiné de fantastique, se déroulant dans un univers médiéval. Au programme : éveil sentimental, enjeux de pouvoir, ostracisme ou encore résilience.

Ce qui caractérise en premier lieu les deux principaux protagonistes d’Hubert et Vincent Mallié, c’est leur marginalité. Arzhur et Islen subissent le rejet des leurs et n’ont vraiment leur place nulle part. Le premier a vaincu son Roi à la loyale après avoir couché avec sa femme, la seconde, suspectée d’être sous l’emprise de pouvoirs maléfiques et incontrôlables, hérités de sa mère, vient d’être libérée d’une tour dans laquelle elle s’était plus ou moins volontairement retranchée. En libérant Islen, Arzhur est probablement en quête de rédemption : il s’imagine secourir une princesse en souffrance et s’élever contre ses oppresseurs. Si l’histoire apparaît un peu plus complexe que cela, leur épopée commune va néanmoins déboucher sur un éveil sentimental d’une rare subtilité, à travers lequel les mécanismes de défense vont se fissurer et les inhibitions, tant physiques que psychologiques, céder une à une.

Le diptyque Ténébreuse mêle à un univers médiéval des touches fantastiques. Arzhur n’est autre qu’un chevalier déchu, ayant malgré lui déshonoré sa famille, et désormais manipulé, au même titre qu’Islen, par trois vieilles femmes étranges et dotées de pouvoirs surnaturels, évoluant dans son ombre comme une menace indicible. Une trame narrative a priori convenue, mais pourtant sublimée par des reliefs vertigineux : un passé duquel les deux héros cherchent obstinément à s’affranchir, des figures parentales malfaisantes et corrompues, l’acceptation des différences, l’amour ou encore l’ostracisme. Et pendant qu’Hubert apporte une densité remarquable à son scénario, habilement ficelé, Vincent Mallié prend soin de portraiturer à traits fins plaines, sorcières, animaux, batailles, tout en s’employant à donner leur pleine mesure aux expressions faciales de ses personnages. L’ensemble s’avère de haute teneur, avec un découpage des planches faisant alterner vignettes verticales et horizontales, petites et grandes, en gros plan et vues plus larges.

Ténébreuse est un double témoignage. Vincent Mallié et Hubert y narrent les aspirations peu scrupuleuses de Meliren, la mère d’Islen, dont la passion amoureuse, trahie et battue en brèche, apparaît aussi débridée que sa soif de vengeance (ou son besoin d’être désirée). Les auteurs se penchent surtout sur le couple tâtonnant formé par Arzhur et Islen, dont les fêlures, profondes, appellent une forme de compréhension, de bienveillance et de tendresse mutuelles. Aux habituelles intrigues de château, Ténébreuse préfère sonder les cœurs, trouvant à la marge des sociétés mises en vignette ce supplément d’âme rendant ses protagonistes si attachants. C’est à la fois sophistiqué et débordant de justesse.

Ténébreuse : livre second, Vincent Mallié et Hubert
Dupuis, septembre 2022, 80 pages

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