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« Sold Out : Face A » : jeunesse éternelle ?

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Scénariste et dessinateur, Phil Castaza brosse avec humour le portrait d’un troisième âge revigoré par la musique. Sold Out : Face A raconte en effet la recomposition d’un groupe de rock sous le sceau de la nostalgie.

« Depuis un an, elle me tanne pour aller au club des retraités qui bavent et jouent au bridge en se bâfrant de biscuits. » Georges a de quoi se lamenter : sa fille cherche à le transférer dans un hospice alors qu’il se sent tout à fait autonome. « J’ai trimé comme un damné pour vous et vous osez venir me foutre dehors », assène-t-il à ses enfants, prenant leur prévenance comme un affront. Il est vrai qu’entre une cave insonorisée parfaitement outillée pour des bœufs pop-rock et les grandes salles communes où des grabataires radotent en digérant leur purée, le contraste est vertigineux. Georges est coincé entre ces deux pôles qu’il considère d’un œil ingénu : il est probablement trop tard pour tenter un retour dans les sixties et les établissements pour personnes âgées ne tiennent pas forcément lieu de mouroirs dénués de charme.

Alors qu’il revoit Jean-Pierre, un vieil ami perdu de vue depuis longtemps, Georges a l’occasion de mettre ses hypothèses en application. Il lui montre son antre musical, empreint de nostalgie, où il a reproduit à l’identique ce faisait l’essence de leur ancien groupe, à commencer par les instruments de musique. Les deux septuagénaires, échaudés, picolent et guitarisent. Le lendemain est difficile pour Jean-Pierre, qui se réveille sur un canapé, expurge son corps des résidus de la veille et se console aux antalgiques. Quand Georges se réveille, son compagnon a pris la tangente. Phil Castaza va bientôt les confronter cruellement à leur solitude : le premier exprime ses doléances aux cendres de sa femme, le second s’enfonce dans son fauteuil en scrutant le vide tout autour de lui. Sold Out a cette particularité de poser un regard doux-amer sur la vieillesse, qui apparaît en décalage avec la société tout en ayant envie de s’y cramponner.

« Il doit avoir l’activité cérébrale d’un fromage blanc. » Il, c’est Jean-Claude, un vieil octogénaire placée en institution, dont l’état décline depuis des années et dont la vie est rythmée par la télévision. Il s’agit surtout d’une ancienne star de la batterie, quelqu’un en qui Georges et Jean-Pierre placent de grands espoirs pour leur retour sur le devant de la scène rock. Ils n’ont peut-être pas tort : quand on lui passe de vieux morceaux, l’ancêtre a la larme à l’œil et les doigts qui démangent. Il ne manquerait plus qu’une chanteuse rencontrée par hasard pour reformer un groupe. Justement, cette Colette qui exaspère ses voisins avec sa musique de sauvages pourrait bien faire l’affaire… Vieillesse, nostalgie et musique vont alors marcher de pair dans un récit rythmé, où l’humour perle souvent et où les caractères révèlent graduellement leur richesse.

Jean-Pierre a monté un groupe de reprises, mais les beuveries et les aventures sans lendemain ont eu raison de son mariage et de sa famille. Il ne voit même plus ses enfants. Georges, quant à lui, a du mal à communiquer avec les siens. Leurs suggestions ne sont pas seulement mal accueillies, elles font l’objet d’extrapolations qui ferment la voie à tout compromis. Tous deux partagent ce mal universel que constitue le refus de vieillir. Ils sont attachants, forts en gueule et d’une dualité qui tient essentiellement d’une incompatibilité entre leur âge et leurs attentes. Si Phil Castaza ne réinvente pas le sujet (les films mettant en scène des personnages âgées agissant comme des jeunes sont légion), il se place à bonne distance de ses personnages pour en sonder les aspirations et les caractères. Par ailleurs, sur le plan graphique, très réussi, il use de codes chromatiques spécifiques, renvoyant par exemple le rouge à la stupéfaction (positive comme négative) et le jaune ou le vert pâle à une forme de nostalgie, voire de réminiscences…

Aperçu : Sold Out (Soleil)

Sold Out – Tome 1 : Face A, Phil Castaza
Soleil, avril 2021, 52 pages

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