La-Bibliotheque-de-Daniel-Clowes-Puey-avis

« Pussey! » : l’art satirique de Daniel Clowes

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avec Pussey!, paru aux éditions Delcourt, Daniel Clowes livre une critique acérée de l’industrie de la bande dessinée, principalement à travers le prisme des éditeurs, créateurs et fans de super-héros. Partiellement autobiographique, l’album se constitue d’une succession de courts récits mettant en scène un dessinateur confronté aux aléas du neuvième art.

Pussey! trouve son origine dans les pages d’Eightball, anthologie dans laquelle Daniel Clowes se permettait d’explorer, sans contrainte, ses visions les plus cyniques et humoristiques de la société. Le personnage central, Dan Pussey, dessinateur cherchant à faire son trou, devient le symbole de l’artiste jeune et naïf, catapulté dans le monde impitoyable de la bande dessinée, où le succès semble davantage reposer sur le marketing que sur le talent réel. En bon satire, Daniel Clowes y critique non seulement l’industrie des comics de son temps, et notamment les super-héros aux aventures cousues de fil blanc, mais surtout la manière dont l’art peut être dévoyé par les intérêts commerciaux – comment ne pas songer à ces planches vendues à prix d’or dans des galeries ?

Au-delà des parodies et des coups directs portés à l’industrie, Daniel Clowes utilise Pussey! pour effeuiller l’âme de son protagoniste, exposant avec acuité les faiblesses et le pathétisme résigné de Dan Pussey. L’humour, bien qu’omniprésent, cède par moments la place à une mélancolie profonde, témoignant des désillusions de l’auteur et de son personnage vis-à-vis du monde de l’art et de la création. Les critiques ne s’arrêtent d’ailleurs pas à l’industrie du comic book ; elles s’étendent aux valeurs souvent superficielles de l’art contemporain et à la consommation de la culture pop. On verra par exemple dans l’album un groupe d’artistes réuni un peu par hasard, ou une cérémonie de remise de prix au cours de laquelle les hommages sont aussi nombreux qu’hypocrites – présentés en alternance avec les situations réellement vécues.

Le style graphique et narratif de Daniel Clowes dans Pussey! annonce déjà ce qui deviendra sa marque de fabrique dans ses œuvres ultérieures. Si l’humour y est plus présent, la tonalité mélancolique et la critique sociale préfigurent des titres comme Ghost World ou Patience. Pussey!, avec son personnage fait de fantasmes et d’espoirs déçus, se distingue peut-être par approche plus franche et moins nuancée, comme s’il cherchait à mettre un grand coup de pied dans la fourmilière agitée du neuvième art.

Des décennies après sa publication, Pussey! conserve toute sa pertinence, reflétant les évolutions et les constantes de l’industrie du comic book. Les mécanismes de l’exploitation créative, la marchandisation de l’art, les interactions humaines accidentées et les travers de la culture de fans – « gentiment » moqués – restent évidemment des sujets d’actualité. Dans un monde où la culture geek est devenue dominante, les observations de Daniel Clowes sur les illusions et désillusions de l’art populaire résonnent avec une ingéniosité sans cesse renouvelée. Au-delà de sa valeur satirique, l’album offre une introspection intéressante sur les aspirations, les échecs et la quête d’authenticité de l’auteur lui-même, dans un univers souvent régi par l’apparence et le commerce.

Pussey!, Daniel Clowes
Delcourt, mars 2024, 56 pages 

Note des lecteurs0 Note
4
Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray