Les Humanoïdes associés publient Arca, de Romain Benassaya et Joan Urgell. Perdu dans l’espace, un important équipage cherche à survivre malgré un environnement inhospitalier et des dissensions internes…
Alors que seules quelques années la séparent du XXIIIe siècle, l’humanité a épuisé les ressources autrefois abondantes de son milieu terrestre. Elle place désormais ses espoirs de salut dans des arches stellaires censées la mener vers un environnement plus propice à sa pérennité. Cependant, lorsqu’ils sont tirés de leur cryosommeil, Éric, Johanna et leurs pairs font face à un événement inattendu : non seulement ils ont échoué dans un endroit indéterminé de l’univers, loin de la Griffe du Lion qu’ils aspiraient à rejoindre, mais il s’est en sus écoulé plusieurs centaines d’années depuis leur départ de la Terre.
Après ce réveil impromptu à la Passengers, Romain Benassaya et Joan Urgell s’emploient à tisser les fils de deux menaces distinctes, auxquelles l’équipage de l’Arca III ne pourra se soustraire. La première d’entre elles prend la forme d’un vaste tube labyrinthique, entièrement plongé dans l’obscurité, et affichant des températures glaciales. Éric et les siens ignorent tout de l’endroit qui les abrite et leurs premières explorations se soldent par des échecs patents. La vie doit s’organiser dans le vaisseau, toute fuite demeurant impossible dans l’immédiat. C’est là qu’interviennent les jardiniers, des entités biologiques initialement conçues pour entretenir de quoi nourrir l’équipage, au sein d’un espace végétal sis à l’intérieur de l’arche stellaire. Au fil des années et de leur développement, ces créatures ont atteint un niveau de conscience inespéré. Quand Johanna apprend à Éric qu’ils vont être parents, Romain Benassaya et Joan Urgell adoptent le point de vue de ces jardiniers, jusque-là en autarcie, et désormais contraints de partager leur espace vital avec une communauté humaine appelée à s’agrandir.
Quelque chose de grinçant est en suspens. Johanna cherche à apprivoiser les jardiniers et se fait peu à peu à l’idée de bâtir une nouvelle communauté dans l’Arca, tandis qu’Éric investit le vaisseau Ookpik pour cartographier les environs, espérant trouver une voie leur permettant de reprendre le cours de leur odyssée spatiale. Cette décision apparaît comme un point de rupture qui préfigure les conflits à venir. Johanna entre dans une colère noire quand elle comprend que son compagnon projette de quitter les lieux. Ce qui se joue en filigrane comporte une dimension philosophique évidente : faut-il privilégier la sécurité au détriment de la liberté ? En d’autres termes, pour la communauté échouée, investir l’Arca et en exploiter les ressources de manière optimale, ou continuer à explorer l’espace afin d’y trouver de quoi s’épanouir dans des conditions plus avantageuses ?
« Rien ne doit compromettre le développement de Nouvelle Ramille », s’entête à répéter Johanna, soutenue par quelques jardiniers. Dans les deux communautés, la division règne et les positions se radicalisent. Avec beaucoup de finesse, et en usant d’arguments temporels, Romain Benassaya et Joan Urgell évoquent la famille, la résilience, les enjeux environnementaux ou encore la quête de liberté. Arca se montre à la fois intimiste (il suffit de songer aux dilemmes d’Éric et Sarah) et spectaculaire (l’aventure galactique, les vers géants…). Le récit se tapisse de bout en bout d’une atmosphère anxiogène, nous rappelant que tout n’y tient qu’à un fil. Les liens entre les uns et les autres, la survivance, l’espoir.
Arca, Romain Benassaya et Joan Urgell
Les Humanoïdes associés, janvier 2023, 112 pages