Les éditions Dupuis publient le troisième et dernier volume des intégrales de 421. On y suit le parcours d’un agent secret britannique, Jimmy Plant, dont les créateurs, Éric Maltaite et Stephen Desberg, révèlent pour la première fois le passé.
Terrorisme islamiste, milices américaines d’extrême droite, complot visant Gorbatchev, ex-agent irakien de Saddam Hussein reconverti en collectionneur d’antiquités archéologiques : le moins que l’on puisse dire, c’est que 421 colle à son temps, quand il ne fait pas montre d’une certaine prescience. En délicatesse au sein d’une maison d’édition en voie de réinvention, en situation de rupture avec le nouveau directeur éditorial de Dupuis Philippe Vandooren, Éric Maltaite et Stephen Desberg livrent en 1992, avec « Le seuil de Karlov », le dixième et dernier récit d’une série qui s’écoulaient pourtant encore à quelque 20 000 exemplaires (le seuil de rentabilité à l’époque). Trop adulte pour un magazine (Spirou) qui se tournait manifestement vers un jeune lectorat, 421 ne va cependant pas tirer sa révérence sans donner un relief biographique et psychologique à son héros, densifier ses phylactères et moderniser un dessin rendu quelque peu obsolète par des publications telles que Fluide Glacial ou Métal Hurlant. En fin connaisseur, Didier Pasamonik s’épanche longuement sur ces faits dans une introduction passionnée, entrecoupée de dessins et de croquis, avant d’en arriver au cœur du sujet.
« Falco » se penche sur une milice extrémiste dirigée par un ancien de la CIA et rendant des services inavouables à un sénateur conservateur, Elliott Purdie. C’est depuis une prison privée que ce groupe de combattants aussi clandestins que fanatisés cherche à se venger des groupes terroristes arabes. Il va se voir infiltré par Jimmy Plant, le héros de 421, qui y croise une ancienne connaissance, Jetta Anderson, engagée pour filmer les opérations. L’épisode qui suit, « Les Années de brouillard », introduit un personnage qui va devenir récurrent jusqu’à la fin de la série, Morgane Angel, une espionne qui enquête sur le passé trouble de Jimmy. Tandis que le voile est levé sur l’adolescence du personnage, déjà caractérisé par « la vivacité, l’intelligence, le bon sens », une relation spéciale, ambivalente, va se nouer entre les deux agents, phénomène qui va trouver son point culminant dans « Morgane Angel », où un Jimmy déguisé va séduire Evelyn, la sœur de Morgane, pour approcher cette dernière. Il découvre aussi ses motivations profondes, son éducation rigide et son tempérament à tendance émotionnelle. 421 se distingue surtout par une capacité hors pair à se fondre dans la peau d’un autre et à simuler l’expertise sur des sujets qu’il ne maîtrisait pas quelques heures plus tôt (la musique baroque, en l’occurence).
Le dernier tome de cette intégrale, « Le seuil de Karlov », met 421 sur la piste d’un criminel « mortellement dangereux », ancien du régime de Saddam Hussein, pour lequel il a multiplié les assassinats de manière méthodique et sadique (ses commentaires ironiques sur la curiosité des enfants). Pas dénué d’humour ou de sous-entendus (les divorces à l’amiable, les prisons d’hommes…), le récit s’intéresse aussi aux marchands d’antiquités et s’appuie sur les tensions entre Jimmy et Morgane, duo antagonique reconstitué pour l’occasion. Comme ses prédécesseurs, « Le seuil de Karlov » est parfaitement maîtrisé, tant dans sa dimension graphique que dans l’enchaînement des événements ou sa manière de caractériser les différents protagonistes. Éric Maltaite et Stephen Desberg ont certes été contraints de mettre fin de manière précoce aux aventures de 421, mais ils lui auront donné les nuances, le charisme et les instigateurs qu’il faut pour marquer l’histoire de la maison Dupuis – et, plus largement, de la bande dessinée franco-belge. Rusé, manipulateur, franc du collier, plus mystérieux qu’il n’y paraît, Jimmy Plant s’avère finalement bien plus qu’un énième ersatz de James Bond : c’est un agent complexe, jusqu’au-boutiste, doté d’une éthique personnelle (et relative). Un authentique héros de bandes dessinées.
421, Éric Maltaite et Stephen Desberg
Dupuis, septembre 2022, 264 pages