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« Petit manuel critique d’éducation aux médias » : (re)penser l’EMI

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avec leur Petit manuel critique d’éducation aux médias, les collectifs La Friche et EDUmédias publient aux éditions du Commun un ouvrage concis destiné à déconstruire les représentations médiatiques et présenter quelques expériences novatrices démocratisant la fabrique de l’information.

De la semaine mondiale de l’Unesco pour l’éducation aux médias et à l’information jusqu’à l’accent mis par différents ministères pour ériger cet outil pédagogique en garant des valeurs républicaines, l’EMI s’est imposée, dans l’immédiat après-Charlie Hebdo, comme un moyen idoine de lutter contre la radicalisation ou la désinformation. La journaliste Emmanuelle Daviet, à la tête du projet Interclass’, relevait d’ailleurs en mars 2018 que « l’éducation aux médias est une impérieuse nécessité ». Avec leur Petit manuel critique, les collectifs La Friche et EDUmédias interrogent des acteurs de terrain, effectuent des retours d’expériences et adoptent un point de vue critique sur l’élaboration de l’information.

Rappelons tout d’abord deux évidences : l’EMI ne date pas d’hier et elle ajoute à ses fonctions didactiques, souvent mises en exergue, une dimension émancipatrice tout aussi primordiale. Elle offre en effet à certaines populations, notamment celles issues des quartiers populaires, un moyen précieux d’expression et de (juste) représentation. Dans la préface de ce Manuel critique, la journaliste Nora Hamadi, qui officie sur Arte, renchérit : « L’éducation aux médias doit surtout être un levier pour dessiner des grilles de lectures du monde et d’apprentissage du sens critique nécessaire à tout.e citoyen.ne éclairé.e. » Les expériences rapportées dans l’ouvrage permettent notamment d’en vérifier les effets.

L’association d’éducation populaire Carmen – pour Création action recherche en matière d’expressions nouvelles – est lancée en 1984 à Amiens. Elle s’est depuis échinée à mettre en avant les visages et les voix des gens ordinaires. Sur Canal Nord, ces derniers ont longtemps pu témoigner de leur quotidien et s’exprimer en toute liberté. Malgré le passage au numérique, Carmen continue de poursuivre quatre objectifs prioritaires : culturels, sociaux, citoyens et éducatifs. Dans le même ordre d’idées, Teleduca, fondée au milieu des années 1990 en Catalogne par quatre femmes issues de l’éducation et des arts, a cherché à filmer les quartiers, à intervenir auprès des femmes, notamment pour les écouter et les valoriser, mais aussi à s’intéresser aux jeunes en investissant notamment leurs écoles. Une singularité ? Le montage audiovisuel est collectif et tous les participants se trouvent à la fois devant et derrière la caméra.

En Allemagne, c’est le cas de l’Offener Kanal qui nous intéresse. Il s’agit d’une chaîne télévisée tout à fait ordinaire, sauf qu’elle est composée de personnes ne produisant pas leurs propres émissions, mais aidant des tiers à réaliser les leurs. « Ce sont des télévisions qui permettent à une communauté, un quartier, de trouver son mode d’expression et de produire des émissions qui traitent de thématiques qui les concernent », note Bettina Wiengarn, directrice d’un Offener Kanal. Cet outil démocratique fonctionne avec peu de personnel permanent, sans comité de rédaction, mais avec l’aide de bénévoles et d’intervenants de tous horizons. Certains y découvrent des vocations ou tissent peu à peu leur réseau. L’expérience des classes médias, où les élèves s’approprient peu à peu les outils mis à leur disposition et finissent par gérer eux-mêmes un enregistrement dans les locaux de France Culture, ou encore les résidences de journalistes, accueillies sur certains territoires pour questionner les médias et leur traitement de l’information en allant à la rencontre des gens, figurent également en bonne place dans ce Petit manuel critique d’éducation aux médias.

Des réflexions de fond, dépassant le simple cadre d’associations ou d’expériences spécifiques, nourrissent également l’ouvrage. Il en va ainsi de l’EMI face au numérique, des fablabs ou des espaces de presse participatifs. Quelques « anti-boîtes à outils » expliquent enfin, sommairement, et de façon détachée, comment rendre un média scolaire hors de contrôle ou détourner un atelier sur le complotisme. De quoi commencer à repenser les médias et l’EMI.

Petit manuel critique d’éducation aux médias, ouvrage collectif
Éditions du commun, mars 2021, 150 pages

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Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray