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« La Bataille de la Sécu » : étatisation, financiarisation, précarisation

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Maître de conférences en sciences économiques, Nicolas Da Silva publie La Bataille de la Sécu aux éditions La Fabrique. Il y expose les origines de la Sécurité sociale et la manière dont l’État s’est réapproprié, par petites touches, des organismes mutualistes longtemps aux mains des travailleurs.

C’est la partie émergée de l’iceberg. L’aspect le plus visible d’un régime général qui, avant d’être chapeauté par l’État, faisait l’objet d’une auto-organisation mutualiste. En 2022, la dette sociale est financiarisée (CADES, ACOSS), certains hôpitaux empruntent en leur nom propre à des conditions particulièrement défavorables, certains traitements demeurent hors de prix sous le faux nez des brevets, les scandales se multiplient dans les Ehpad (à l’image du groupe Orpea), le numerus clausus, les forfaits ou le ticket modérateur pèsent négativement sur l’offre et la demande de soins, l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) conditionne les soins de ville et les durée d’hospitalisation. Pis, la tarification à l’activité a débouché sur des spécialisations opportunistes (on réalise les actes les plus rémunérateurs) et des opérations de surcodage, parfois élaborées avec le concours de prestataires externes.

Particulièrement clair et documenté, La Bataille de la Sécu permet de prendre le pouls d’un État-providence malade des soins qu’il dispense. Spécialiste de la question, Nicolas Da Silva raconte avec maestria la manière dont la sécurité sociale a été transformée et récupérée par les instances publiques (et donc politiques et économiques), le plus souvent à la faveur de prétextes fallacieux. On a amalgamé les soins de santé à une logique industrielle, quasi toyotiste, revenant à traiter la maladie tout en négligeant le malade, laissé aux mains de bénévoles. On a fermé des lits, misé sur l’ambulatoire et les soins à domicile, afin de contenir des dépenses perçues comme excessives. On a épilogué sans fin sur le prétendu « trou de la sécu », sans jamais rappeler son caractère conjoncturel (la crise des subprimes, la Covid-19) ni la solidité financière d’une institution qui, aujourd’hui, souffre surtout de la financiarisation de sa dette.

C’est une longue et complexe histoire que Nicolas Da Silva prend le parti de coucher sur papier. Cette dernière nous mène aux hôpitaux assimilés à des abris pour personnes vulnérables ou indigentes, aux mutuelles autorisées et approuvées (les secondes bénéficiant de conditions avantageuses en échange d’un encadrement renforcé), aux réformes induites à la suite des guerres mondiales (prendre en charge les blessés, les veuves, revivifier la natalité…), aux établissements hospitaliers vivant de la rente immobilière et du bénévolat religieux, aux officiers de santé bientôt bannis par les syndicats médicaux par élitisme, aux lois Juppé de 1996 détricotant définitivement l’aspiration à l’auto-organisation…

De 1789 aux années 2020, La Bataille de la Sécu narre les conflits qui ont présidé à l’organisation de la Sécurité sociale, mais surtout les multiples tentatives, protéiformes, de l’État et de ses représentants pour en reprendre la main sur des travailleurs qui ont pourtant toujours cherché à en gérer les institutions de manière saine et démocratique. Un fait édifiant ressort de cet excellent ouvrage : l’État social français a été pleinement conditionné par la guerre. Ce sont ensuite le capitalisme politique et les proximités avec le monde économique qui ont altéré la Sécu, à mille lieues des préoccupations cégétistes issues de la Résistance.

La Bataille de la Sécu, Nicolas Da Silva
La Fabrique, octobre 2022, 304 pages

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