En association avec l’Agence France-Presse, les éditions La Découverte publient Focus, un ouvrage mettant à l’honneur le travail des photographes, et donnant à ces derniers l’occasion de verbaliser leurs expériences professionnelles, sur un terrain où l’émerveillement le dispute souvent à l’angoisse, et où ils bénéficient d’un contact privilégié avec les grands événements de notre temps.
Elles sont quelques-unes à avoir fait le tour du monde : Bernie Sanders emmitouflés, bras et jambes croisés, à l’investiture de Joe Biden ; des Afghans réfugiés à l’intérieur d’un avion militaire américain ; des roquettes tirées en pleine nuit vers le territoire israélien, auxquelles répond instantanément le dispositif antimissiles de Tsahal ; un insurgé américain les pieds posés sur le bureau de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des Représentants… Ces photographies ont illustré l’actualité de l’année 2021 et passeront sans aucun doute à la postérité, comme des centaines d’autres avant elles, dont celle, déchirante, d’Aylan, cet enfant syrien de trois ans dont le corps sans vie fut retrouvé sur une plage turque en septembre 2015. Focus offre un point de vue vertigineux sur les grands événements de notre temps. Et en recueillant le témoignage des photographes, ce beau-livre à la couverture souple énonce les conditions dans lesquelles ces derniers exercent leur métier, parfois au mépris du danger, occasionnellement dans des lieux devenus inaccessibles, ou à tout le moins infréquentables.
Comme le rappelle avec à-propos Justin Tallis, une photographie est souvent duale, plurielle, polysémique. En immortalisant un aquarium urbain suspendu entre deux immeubles, le reporter a aussi saisi les disparités économiques londoniennes. Il en va de même pour Andrej Isakovic, dont le cliché, glissé dans un dossier portant sur les Jeux Olympiques de Tokyo, ne montre pas seulement la chute d’un athlète marocain, mais aussi les tribunes vides d’un stade en pleine pandémie. À Istanbul, un aviron semble se fondre dans une toile de peintre, la texture de l’image est somptueuse, mais elle renvoie en réalité à la pollution et au réchauffement climatique : la « morve de mer » apparaît quand des organismes végétaux restent à la surface, en suspension. La photographie nécessite la définition d’un cadre. En cela, elle n’illustre qu’une réalité tronquée, et parfois mise en scène (même involontairement). La discothèque de Wuhan saisie par l’objectif d’Hector Retamal vaut ainsi surtout pour le hors-champ qu’elle tend à masquer : la pandémie de coronavirus qui a trouvé son origine en son sein et confronté le monde entier à des confinements et des mesures sanitaires parfois draconiennes.
Certaines photographies de Focus offrent des points de vue étourdissants. La majesté d’un volcan islandais en éruption, la démesure d’un bateau de croisière phagocytant la ville de Venise sise à son arrière-plan, le vertige d’une vue aérienne du désert de Neom (Arabie saoudite), dont les falaises et les étendues de sable ne sont perturbées que par les insignifiants véhicules de course qui les traversent… À chaque fois, le regard du photographe fait sens. Tout cliché est la rencontre d’une sensibilité, d’une esthétique, d’un message et d’une réalité. Le beau se suffit rarement à lui-même (sauf, peut-être, à considérer la grotte de Son Doong, au Vietnam), il s’accompagne d’un contexte et d’émotions. Le premier entre de manière quasi tautologique en résonance avec la fonction de photo-reporter, les secondes sont indissociables de certains événements contés (la joie de Lionel Messi après avoir remporté la Copa, la détresse des habitants du Tigré éthiopien, l’urgence des catastrophes climatiques…). Cet ouvrage précieux en fait état de la plus belle des façons.
Focus : Le regard des photographes de l’AFP, collectif
La Découverte, novembre 2021, 200 pages