Que retenir de « Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié » ?

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions LettMotif publient un essai de David Da Silva traitant des liens épineux entre les films historiques hollywoodiens et les cultural studies. Le sujet est original et permet à l’auteur d’évoquer les conflits d’historiens et de minorités à l’œuvre dans la capitale mondiale du cinéma.

Souvenez-vous : en 2017, Kathryn Bigelow faisait les frais de plusieurs polémiques entourant son long métrage Detroit. Ce drame historique revenait sur des événements survenus au Motel Algiers en juillet 1967. Là-bas, neuf personnes, essentiellement de couleurs, furent battues et humiliées par la police locale et la garde nationale du Michigan. Trois autres jeunes afro-américains perdirent la vie la même nuit. Kathryn Bigelow a beau afficher de nobles intentions, elle n’échappera pas aux accusations d’appropriation culturelle et même de complaisance envers la violence raciste, voire de « pornographie ». Cet exemple, emblématique des cris d’orfraie accompagnant chaque film historique – ou presque –, se fond parmi des dizaines d’autres dans cette étude originale menée par David Da Silva, publiée aux éditions LettMotif et nantie de plusieurs interviews inédites.

Le postulat au cœur de Cultural Studies et Hollywood est relativement simple : depuis l’avènement des « études culturelles » réinterrogeant l’histoire américaine à la croisée des disciplines, conflits d’historiens et de minorités s’invitent régulièrement à la sortie des films historiques. C’est en effet exclusivement à leur aune que David Da Silva se penche sur les interactions souvent conflictuelles entre les cultural studies et Hollywood. Et les exemples ne manquent pas. Certains intellectuels ou militants noirs considèrent que leur communauté est représentée de manière trop passive dans Lincoln. D’autres arguent que le rôle des femmes est occulté dans la révolte d’esclaves de The Birth of a Nation. La véracité historique est mise à mal par l’écriture de certains personnages dans 12 Years a Slave. Avec Les Proies, Sofia Coppola se heurte à un « catch-22 », c’est-à-dire une situation inextricable, née de la présence d’un personnage d’esclave noir : le représenter peut alimenter une accusation en caricature, le cacher semble inenvisageable du point de vue historique et pourrait conduire à des reproches d’invisibilisation de l’esclavagisme. La Passion du Christ semble quant à lui le réceptacle de tous les mécontentements : sur la représentation des violences faites aux Juifs, sur la caractérisation des méchants en androgynes ou en individus maniérés, sur la manière de rapporter les faits historiques. Exodus : Gods and Kings s’en sort à peine mieux, puisqu’on accusa Ridley Scott d’une représentation très biaisée des minorités, réduites aux rôles de serviteurs ou de voleurs. Le néo-orientalisme d’Argo (par lequel les Orientaux sont avant tout une menace), la minimisation du rôle historiquement joué par l’ambassadeur canadien dans l’affaire des otages iraniens de 1979, le choix de Ben Affleck pour camper l’hispanique Antonio Mendez feront eux aussi l’objet de critiques acerbes. Les films de Clint Eastwood sur Iwo Jima (ex. : pour la faible représentation des Marines noirs), Le Dernier Samouraï (ex. : pour la non-pertinence de la figuration de la culture japonaise) ou Munich (ex. : pour les personnages arabes non sous-titrés) se voient eux aussi documentés.

Quelques réserves

David Da Silva n’a pas peur d’évoquer une « dictature des minorités » remplaçant peu à peu le récit filmique des dominants. Il plaide que « les victimes sont divinisées » et qu’on assiste à une guerre de tous contre tous telle que théorisée par Thomas Hobbes. Il recourt à maintes reprises aux notes d’IMDb pour mesurer les divergences d’appréhension d’une œuvre entre les universitaires et les critiques d’une part, et le public lambda de l’autre. Cela pose toutefois un problème d’échantillonnage : peut-on raisonnablement arguer que ceux qui s’inscrivent et notent des films sur IMDb sont représentatifs de la population générale ? Ne s’agit-il pas, comme on peut raisonnablement le penser, d’individus plus cinéphiles et diplômés que la moyenne ? On peut aussi regretter que la superstructure (les studios hollywoodiens et leurs cadres, très majoritairement Blancs et masculins) ou la sous-représentation des minorités dans le cinéma américain ne soient pas problématisées dans l’ouvrage. Cela aurait probablement permis à l’auteur d’approfondir sa réflexion.

Bien qu’anecdotiques dans l’analyse qui nous occupe, les omissions du chapitre consacré à l’élection de Donald Trump ne sauraient être passées sous silence. Alors que l’auteur relève à juste titre que des milliardaires ont financé la campagne des démocrates en 2016, il ne pipe mot sur Stephen Ross, Sheldon Adelson, Richard Uihlein, les frères Koch ou Peter Thiel, généreux contributeurs républicains, préférant mettre l’accent sur les petits dons dont a bénéficié le magnat de l’immobilier. Donald Trump est par ailleurs dépeint comme un self-made-man, nonobstant le fait qu’il a massivement hérité de ses parents, le New York Times évoquant par exemple en octobre 2018 quelque 400 millions de dollars qui seraient pour partie issus de l’évasion fiscale illicite de sa famille. Le silence sur l’influence de Cambridge Analytica sur les élections ou la surinterprétation de la géographie des votes – largement immuable aux États-Unis pour des raisons historiques ou de sociologie électorale – nous paraissent aussi fragiliser la réflexion de l’auteur.

Ces éléments mis à part, Cultural Studies et Hollywood demeure une étude passionnante sur l’influence exercée par les cultural studies sur des films historiques américains qui, bien que partiellement débarrassés du dominant gaze, tombent aujourd’hui dans des travers nuisant à la véracité factuelle des événements qu’ils content. Cela, David Da Silva l’énonce avec une acuité remarquable.

Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié, David Da Silva
LettMotif, janvier 2020, 370 pages

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