L’éditeur spécialisé dans le cinéma LettMotif publie deux essais de Damien Ziegler : l’un porte sur Barton Fink, la seule Palme d’or des frères Coen à ce jour, tandis que l’autre traite de A.I. Intelligence artificielle, projet kubrickien finalement repris en main par Steven Spielberg.
Ces deux analyses filmiques permettent de faire l’exégèse des films de Steven Spielberg et des frères Coen, mais aussi de dégager des constantes filmographiques et des parallélismes avec des œuvres tierces. Barton Fink est ainsi renvoyé à son méta-discours sur le cinéma, à ses formules connotées, agrémentées de références à la tête, à ses symboles (le couloir, la plage) et, bien entendu, à ses personnages, celui de Jack Lipnick condensant par exemple des traits constitutifs de Louis B. Mayer, Jack Warner ou Harry Cohn. A.I. Intelligence artificielle est regardé à travers le prisme de Hugo Cabret, The Tree of Life ou Always, son personnage central, David, se situant sur une échelle analytique entre Peter Pan (incapacité de grandir) et Pinocchio (volonté de vivre).
Dans Barton Fink, l’hôtel Earle est un personnage à part entière. Damien Ziegler le décrit comme un « espace dominant » et « immobile », propre à brouiller les repères, à certains égards indexé à l’Overlook (Shining) ou à Franz Kafka (Le Procès). Dans A.I., l’intérêt se trouve évidemment ailleurs : David a été créé « pour rester jeune », ce qui n’est pas sans évoquer le syndrome de Peter Pan. Le film s’appuie sur une structure proche de celle du conte, avec notamment un « mélange des temps » (le fils s’occupant des parents) que l’auteur verbalise avec à-propos. Sur les symboles, les deux essais s’avèrent intarissables : les « eaux fluctuantes » d’une piscine renvoient dans Barton Fink aux « caprices du destin », tandis que A.I. fait appel à une « symbolique des couleurs » où le bleu et le rouge jouent les premiers rôles. Des dizaines d’exemples émaillent les deux lectures.
Barton est perçu par Damien Ziegler comme une version primaire de Llewyn Davis. A.I. raconte une volonté de normalité quand E.T. cherche au contraire à s’en extraire. Dans ses deux analyses filmiques, l’auteur, par ailleurs docteur en études cinématographiques, se plaît à établir des ponts entre les œuvres, et pas seulement à l’intérieur d’une même filmographie. Cela l’amènera par exemple à rapprocher l’insecte perturbateur de Barton Fink de celui de Breaking Bad (le bottle episode intitulé « Fly ») ou à considérer la conclusion de A.I. à l’aune de celle du Portrait de Jennie, tant dans le traitement des couleurs que dans la construction dramatique. Au final, par leur approche analytique multidimensionnelle et très poussée, les deux ouvrages que LettMotif nous propose livrent un effeuillage minutieux de longs métrages, si pas inépuisables, au moins séminaux et particulièrement riches. C’est tout à l’honneur de Damien Ziegler d’avoir eu la passion – et la patience – de nous en donner les principales clefs de décryptage.
Barton Fink & A.I. Intelligence artificielle, Damien Ziegler
LettMotif, juin 2020, 260 pages