L’anthropologue et directeur de recherche au CNRS Jean-Loïc Le Quellec publie aux éditions du Détour un essai intitulé Avant nous le Déluge !. Il y revient sur les mythes, leur diffusion et leur actualité.
Il est probable que le voyageur curieux et attentif entende deux histoires aux motifs similaires en parcourant deux régions pourtant très éloignées l’une de l’autre. Dans son essai Avant nous le Déluge !, Jean-Loïc Le Quellec rappelle que les mythes, répandus aux quatre coins du monde, peuvent être catégorisés en fonction de mythèmes communs. Si quelques variations apparaissent çà et là, ces histoires appartenant à une même famille écotypique partagent des éléments constitutifs et une volonté sans cesse réaffirmée d’expliquer les origines du notre environnement immédiat, qu’elles soient cosmogoniques (le monde), anthropogoniques (les hommes), sociogoniques (les sociétés) ou ethnogoniques (les peuples). À la fois érudit et accessible, le présent essai repose en grande partie sur l’aréologie pour expliquer la diffusion des mythes à travers le monde, démontrant en cela que des récits formellement divergents demeurent semblables dans leurs fondements.
Deux réflexions très intéressantes irriguent Avant nous le Déluge !. La première d’entre elles prend appui sur l’opposition théorique entre d’un côté Fontenelle, Charles de Brosses et Edward Burnett Tylor et de l’autre, James George Frazer et surtout Lucien Lévy-Bruhl. Pour résumer, les premiers considéraient qu’il existait une parenté entre les mythes primitifs et les croyances modernes (notamment religieuses), tandis que les seconds, bien que conscients de certaines similitudes, tendaient à hiérarchiser les croyances en renvoyant les peuples primitifs à une sorte de gouffre philosophico-scientifique. Là où les uns mettaient en avant une continuité, les autres plaidaient en faveur d’une rupture. La seconde réflexion apparaît en fin d’ouvrage et se leste d’une actualité brûlante. À l’heure des réseaux sociaux et de leurs bulles cognitives, certaines théories du complot visant à expliquer simplement des phénomènes complexes pourraient s’apparenter à des mythes contemporains. Mais ce n’est pas tout, puisque l’auteur se demande ce qui peut distinguer la numérologie ou l’hypothèse du cerveau reptilien des mythes. Il explique aussi comment des personnalités historiques comme Charlemagne ou Napoléon ont fait l’objet d’une mythification.
Avant nous le Déluge ! est une entreprise louable : en quelque 260 pages, Jean-Loïc Le Quellec cherche à initier le lecteur à la mythologie, à ses supposés problèmes de traduction, à ses aires géoculturelles… Dans un tableau édifiant inspiré de Julien d’Huy, il met en parallèle le mythe et le virus, en en révélant certains liens objectifs – sur la transmission, la réplication, la mutation/innovation, la délétion/suppression, la sélection naturelle/culturelle… Parmi les nombreux thèmes abordés, et au milieu de retranscriptions de mythes de tous horizons, il se penche brièvement sur la « psychologisation » des mythes, selon lui erronée et à courte vue, et qu’il taxe de « réductionnisme psychopathologique ». Par ailleurs, au cours de sa démonstration, très documentée, l’auteur multiplie les exemples et les références, ce qui permettra aux curieux de creuser plus avant les points soulevés. En l’état, l’ouvrage proposé par Jean-Loïc Le Quellec constitue déjà un point d’entrée très intéressant vers un sujet largement impensé au-delà des anthropologues et des spécialistes de la question.
Avant nous le Déluge !, Jean-Loïc Le Quellec
Éditions du Détour, novembre 2021, 260 pages