Pascal Blanchard, Hadrien Dubucs, Yvan Gastaut et Aurélie Boissière publient aux éditions Autrement la seconde édition de l’Atlas des immigrations en France. L’ambition en est simple : objectiver des réalités migratoires le plus souvent perçues à l’aune d’idées préconçues.
Si les questions migratoires s’invitent régulièrement sur le devant de la scène politique, leur histoire est généralement occultée. Au début du XXe siècle, 5% de la population mondiale vivait ailleurs que dans son pays de naissance ; ces personnes ne représentent aujourd’hui plus que 3%, soit 280 millions de personnes. Certains pays comme les États-Unis comptent entre 15 et 30% d’immigrés parmi leurs résidents. D’autres, comme l’Australie ou l’Arabie saoudite, pointent à plus de 30%. En France, la migration s’est surtout concentrée en provenance de Belgique, de Suisse, d’Allemagne et d’Espagne dans un premier temps, avant le tournant des années 1970 – espace européen, mutations économiques, mondialisation, post-colonialisme, etc. –, qui a vu les Africains, et notamment les Algériens, mais aussi les Turcs, affluer en plus grand nombre. Mais comme le rappellent les auteurs, il faut d’abord s’entendre sur ce qui définit un immigré. Un étranger naturalisé ? Un Français né ailleurs et revenu sur la terre de ses ancêtres ? Le Haut Conseil à l’Intégration propose cette acception : une personne née étrangère à l’extérieur des frontières nationales et résidant en France.
Cet Atlas des immigrations en France évoque les frontières mouvantes de la France, l’implantation localisée de certaines poches d’immigration (les Espagnols au sud-ouest, les Belges au nord-est…) ou encore les orientations polarisant le débat sur l’intégration, entre assimilation et multiculturalisme, la France privilégiant la première, les Anglo-Saxons la seconde, mais non sans flottements pragmatiques. Les cartographies et graphiques d’Aurélie Boissière apportent par ailleurs une vue édifiante sur certains sujets connexes. Le niveau de qualification scolaire obtenu en France diminue lorsque l’immigré arrive plus tardivement, l’expérience de la discrimination varie sensiblement, dans un ordre décroissant, entre immigrés subsahariens, maghrébins et européens, la xénophobie se répartissant surtout, selon un sondage de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, entre les gens du voyage, les musulmans et les Maghrébins. Les auteurs rappellent plus largement le pic d’incidents interraciaux survenu au milieu des années 1890 (concomitant à l’affaire Dreyfus), le sentiment anti-Polonais succédant à la crise de 1929 (population alors considérée comme inassimilable, délinquante ou communiste) ou la surreprésentation des étrangers dans les métiers du bâtiment, du gardiennage, du textile et de la restauration.
L’émigration française, les camps pour étrangers, les origines des sportifs et des artistes, la sous-représentation des immigrés et de leurs descendants parmi les élus figurent également en bonne place dans cet atlas. On y note que l’immigration familiale a rendu les femmes majoritaires parmi les immigrés. Si les hommes entrent essentiellement en France pour des motifs liés au travail ou aux études, les femmes, bien qu’elles soient de plus en plus souvent migrantes professionnelles et autonomes, rejoignent surtout l’Hexagone pour des raisons familiales. Les entrées en France sont par ailleurs de plus en plus le fait d’individus qualifiés, ceci s’exprimant dans un contexte où Paris cherche à attirer des talents venus du monde entier. Enfin, parmi les étudiants étrangers, on retrouve une large proportion de Marocains, Chinois, Algériens, Tunisiens et Allemands. Parmi les grands enjeux liés à l’immigration, qui font l’objet d’un chapitre détaillé, la mobilité sociale est particulièrement intéressante : on y observe des blocages se matérialisant par un statu quo relatif, la part de la mobilité ascendante se révélant quasi équivalente à la part descendante (les hommes s’en sortant néanmoins mieux que les femmes).
Didactique et documenté, l’Atlas des immigrations en France permet de mieux appréhender les mécanismes en œuvre, tant dans les migrations, l’inclusion ou l’exclusion des étrangers en France. Pascal Blanchard, Hadrien Dubucs, Yvan Gastaut et Aurélie Boissière affinent aussi une lecture souvent archétypale ou schématique du fait migratoire, en effeuillant le territoire, en renvoyant certains phénomènes à leurs origines historiques ou en nuançant des chiffres bruts par des développements politiques, sociologiques ou économiques. Ce n’est pas seulement passionnant, c’est aussi indispensable à un débat éclairé et serein.
Atlas des immigrations en France, Pascal Blanchard, Hadrien Dubucs, Yvan Gastaut et Aurélie Boissière
Autrement, novembre 2021, 96 pages