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Le Professeur, de Valerio Zurlini : Delon entre chien et loup

Cette édition du Professeur par Pathé est un vrai événement. Elle permet en effet de sortir d’un oubli relatif non seulement ce film remarquable, mais aussi son metteur en scène Valerio Zurlini, ainsi qu’une des meilleures prestations d’Alain Delon dans une décennie 1970 pourtant riche en œuvres essentielles. Le comédien français traîne sa mélancolie et un passé difficile dans une Rimini loin des cartes postales, trouvant une rédemption potentielle dans une jeune fille dont la tristesse le touche. Le professeur (La prima notte de quiete) est une œuvre crépusculaire et profonde, dans laquelle le héros tragique, qui semble avoir définitivement baissé les bras, retrouve goût à la vie malgré l’impossibilité de ses rêves. Quel plaisir de découvrir aujourd’hui le montage plus long de Zurlini de ce joyau italien méconnu !

Lorsque Daniele (Alain Delon) suit encore pendant quelques mètres le départ du train qui emporte Vanina (Sonia Petrovna), il prononce enfin les mots « je t’aime ». Cet instant bien précis semble respecter le cahier des charges d’une bluette pareille à mille autres, comme le souligne le réalisateur, historien et critique cinématographique Jean-Baptiste Thoret dans les suppléments passionnants de ce combo DVD/Blu-ray. Sauf que Le professeur ne ressemble en rien à un drame sentimental classique, et que ces deux mots lâchés à l’être adoré – qui ne les entend probablement pas –, qu’on prononce souvent trop vite à l’adolescence, ou par simple habitude lorsque l’on est adulte, Daniele ne les a sans doute plus exprimés depuis très longtemps. Tellement longtemps qu’il avait tiré un trait sur cet abandon, cet espoir que constitue l’amour. Si Alain Delon a fréquemment interprété des héros tragiques, rarement ceux-ci ont subi un sort à ce point cruel que dans le film qui nous occupe ici : sa décision d’enfin quitter son épouse Monica (Lea Massari), de tout lâcher pour refaire sa vie avec Vanina, ne représente pas simplement la victoire d’un élan sentimental longtemps enfoui. Cette décision prouve avant tout que Daniele est prêt à se pardonner à lui-même, que cette jeune fille lui a donné la force de dépasser ses échecs, ses vices et ses désillusions. Cet homme au fond du trou, qui ne croit plus en rien, décide soudain d’agripper fermement la chance qui semblait au départ la plus improbable : tout quitter pour une fille bien plus jeune que lui, son élève, un être aussi fragile et torturé que lui, qui l’aime désormais sincèrement. Mais comme dans une tragédie antique, l’opportunité inespérée offerte au héros lui sera soustraite aussitôt… Le professeur n’est décidément pas une bluette.

Valerio Zurlini, cinéaste rare et précieux, tourne Le professeur en 1972. Il s’agit de son avant-dernier long-métrage, avant la consécration tardive du Désert des Tartares (1976). Il collabore pour la première et unique fois avec Alain Delon, très investi dans le projet puisqu’il le coproduit en plus d’en interpréter le rôle principal. C’est d’ailleurs Delon qui en imposa le titre français fort banal, auquel il est permis de préférer – de loin – le titre italien original, La prima notte di quiete (« la première nuit de quiétude », allusion à la mort empruntée à Goethe), dans un contexte où le metteur en scène et sa star connurent moultes frictions. Le comédien français interprète le rôle d’un professeur remplaçant débarquant dans une Rimini hivernale. Ancien bourgeois déclassé et sans le sou, Daniele Dominici traîne sa solitude et sa mélancolie entre une salle de classe qu’il anime sans passion, les parties de cartes clandestines et les soirées de débauche où l’entraînent ses nouveaux amis, de jeunes oisifs qui y trompent leur ennui. Aucune de ces distractions ne semble pouvoir guérir le spleen de Dominici, mais elles le tiennent au moins éloigné du domicile conjugal où ne l’attend plus qu’un mariage en mort clinique et une épouse qui l’a déjà remplacé plus d’une fois. Parmi ses élèves, une jeune fille attire cependant son attention : Vanina, dont la beauté est ombragée par une mélancolie dans laquelle Daniele se reconnaît et qui le touche. Traînant tous deux derrière eux un passé douloureux, ils vont se retrouver et entamer une reconstruction mutuelle inespérée…

Il est peu de dire que ce film superbe mais un peu oublié méritait une nouvelle sortie ! Tournée dans une Rimini au climat particulièrement maussade, l’œuvre offre à Delon un de ses meilleurs rôles des années 1970. Lorsqu’il décide de collaborer avec Zurlini, l’acteur a entamé depuis quelques années un tournant dans sa carrière. Celle-ci le voit évoluer dorénavant dans le registre policier, mais aussi dans des projets plus atypiques (L’Assassinat de Trotsky, Monsieur Klein, etc.) où il s’investit également régulièrement dans la production – Le professeur fait partie de cette catégorie. Surtout, Delon est devenu cet autoproclamé « héros tragique », qu’il aime opposer aux « héros comiques » auxquels appartient notamment son grand rival Belmondo. Comme il nous est rappelé dans les bonus de cette édition, le comédien meurt presque toujours dans ses films tournés dans les années 1970. Il interprète des personnages qui « ne vivent pas, ils survivent ». Dominici est en effet un homme qui porte le poids de son passé, qui traîne sa mélancolie et ses échecs comme autant d’obstacles infranchissables. Cependant, comme indiqué plus haut, la palette de Delon s’enrichit ici de désirs contraires, d’une lueur d’espoir à laquelle il se refuse avant de céder à la possibilité d’un nouveau départ, en vain. Toujours avare en mots, l’acteur impressionne dans ce film qui correspond totalement à la typologie de personnages qu’il incarna à partir de cette époque… mais rarement avec autant d’inspiration. Le fruit d’une rencontre avec Zurlini qui, si elle fit des étincelles, permit aux deux hommes de donner vie à une œuvre sombre et parfois mystérieuse, mais très aboutie. Gageons que cette nouvelle édition en tout point recommandable permettra à bon nombre de cinéphiles de la découvrir dans les meilleures conditions et de lui offrir la reconnaissance qu’elle mérite.

Synopsis : Daniele Dominici remplace un professeur malade au lycée de Rimini. Bien que séparé de sa femme, Monica, il vit toujours avec elle. Riches et oisifs, ses élèves l’ennuient, excepté Vanina, une jeune fille qui éveille son intérêt par la blessure secrète qu’il décèle en elle.

SUPPLÉMENTS

Pathé n’a pas fait les choses à moitié en proposant en guise de supplément principal une demi-heure d’entretiens avec Olivier Père, critique de cinéma, et avec le réalisateur, historien et critique cinématographique Jean-Baptiste Thoret, qui se taillent la part du lion, mais aussi avec la comédienne Sonia Petrovna, qui interprète Vanina dans le film et qui partage quelques souvenirs de tournage.

Père et Thoret rappellent notamment la formation d’historien de l’art de Zurlini, qui transparaît dans ce film dans lequel les références picturales et littéraires jouent un rôle important, et l’importance du décor en tant que reflet des protagonistes. On ne peut que leur donner raison en observant cette Rimini triste, déserte et lugubre dans laquelle Delon semble surgir de nulle part, se promenant seul et sans but apparent dans le port romagnol. Dans cette ville, les jeunes bourgeois oisifs s’ennuient, tournant en rond en s’adonnant aux mêmes activités décadentes, dans les mêmes lieux et avec les mêmes gens. Ces vitelloni friqués et désenchantés, qui semblent incapables de s’amuser ou simplement de vivre réellement, s’inscrivent dans le cinéma italien des années de plomb, où la bourgeoisie est souvent représentée comme une classe sociale vivant à distance respectable du reste de la société engluée dans ses problèmes hérités de la guerre.

Les trois invités louent unanimement la performance d’Alain Delon, dont la présence magnétique contribue en effet grandement à la réussite du film, le charisme du comédien transcendant son apparence négligée (il est mal rasé et porte le même impair et pull à col roulé pendant tout le film). Sonia Petrovna se souvient aussi que l’acteur l’a beaucoup aidée. Les deux critiques soulignent la place du film dans la carrière de Delon, qui avait à cette époque définitivement adopté sa persona de héros tragique, souvent mutique et torturé, qui le mènera hélas à se muer peu à peu en la caricature de lui-même quelques années plus tard… Dans ce film, l’acteur donna toutefois le meilleur de son talent, et fut impliqué dans le film au point de le raccourcir au montage, en sa qualité de coproducteur et contre l’avis de Zurlini, Delon souhaitant que son personnage soit (encore) plus énigmatique qu’il ne l’était déjà. Vu le rôle qu’il a joué dans sa création et dans son succès, il est évidemment dommage qu’on ne soit pas parvenu à sortir le monstre sacré de sa tanière pour commenter cette œuvre dont il est fier et dont il aurait certainement eu beaucoup de choses à nous dire… Il semble évident que le choix de Pathé de présenter ici le montage plus long du film, qui correspond à la vision de Valerio Zurlini, n’est pas étranger à l’absence de cet invité de luxe.

Suppléments de l’édition combinée DVD/Blu-ray :

  • Entretiens inédits avec Sonia Petrovna, Olivier Père et Jean-Baptiste Thoret
  • Actualités Pathé d’époque
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