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La Trilogie du Milieu, de Fernando Di Leo, en coffret : jaillissements de grand cinéma

On ne peut rêver plus bel hommage au genre poliziottesco, ou néo-polar italien, que ce coffret édité par Elephant Films dédié à un de ses plus illustres représentants. Personnage tout-terrain du cinéma transalpin des années 60 et 70, Fernando Di Leo fut en effet l’auteur de quelques perles de ce cinéma bis de qualité, parmi lesquels les trois opus présentés ici, parfaite introduction à ce cinéaste que Quentin Tarantino a contribué à sortir de l’oubli. Inégaux, extravagants, parfois fulgurants et brillants, mélange d’influences américaines et de climat politique italien, ces trois films méritaient assurément d’être (re)découverts. Étant donné que le coffret déborde en outre de plusieurs heures (vous avez bien lu) de suppléments passionnants, il ne reste plus qu’à enfiler ses charentaises et profiter du spectacle… 

A l’orée des années 1960, et cela pour une vingtaine d’années, l’Italie devint, pour citer Alain Petit (livret du coffret, lire plus bas), « un véritable paradis du cinéma de genre ». Tout y passa : péplum, western (le fameux « western spaghetti »), thriller (le giallo), etc. Dans cette explosion tous azimuts de ce qu’on appelle aussi le « cinéma bis », on trouve un sous-genre quelque peu oublié aujourd’hui : le « poliziottesco » ou néo-polar. Né au début de la deuxième période de floraison du cinéma bis, les années 70, à la même époque que le giallo aujourd’hui plus célèbre, ce genre de polar urbain prit son envol à la faveur du déclin du western spaghetti, nourri par trois films américains au succès international : L’Inspecteur Harry (1971) de Don Siegel, Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola et Le Flingueur (1972) de Michael Winner. En Italie, ce goût populaire pour le polar s’explique aussi par le contexte des années de plomb, période de violence et de terreur politique qui oppose depuis la fin des années 60 (attentat de la piazza Fontana en décembre 1969, fondation des Brigades rouges en août 1970) extrême-droite et extrême-gauche sur fond de guerre froide. Les cinéastes vont se nourrir de leurs influences américaines et du climat ambiant pour produire une grande quantité de films de genre (une centaine entre 1972 et 1980, selon Alain Petit). Leur dénominateur commun est la violence et l’action, parfois avec un soupçon de message politique. Le néo-polar italien ne survivra pas longtemps à la fin des années de plomb, preuve que le genre fut avant tout un produit d’une certaine époque.

Comme c’est le cas pour l’ensemble du cinéma bis, les œuvres s’inscrivant dans le genre sont produites à la chaîne, souvent « à l’arrache » avec un budget misérable. Autre observation commune : à peu près 90% de cette production sont aujourd’hui oubliés… pour de bonnes raisons. Néanmoins, le poliziottesco eut aussi ses artistes de talent, qui sortent aisément du lot : Enzo G. Castellari, Sergio Martino, Massimo Dallamano, etc. Fernando Di Leo fait lui aussi partie des maîtres du genre, à un point tel que Quentin Tarantino, grand adepte du cinéma bis comme chacun le sait, n’hésita pas à qualifier les trois films inclus dans ce coffret de « meilleurs thrillers italiens de tous les temps » ! Une formule flatteuse qu’on peut ne pas partager totalement, mais qui eut le mérite de sortir Di Leo d’un oubli injuste et de nous offrir aujourd’hui ce bien bel hommage.

Né en 1932 dans les Pouilles, Fernando Di Leo obtint d’abord un diplôme en droit, avant de se tourner vers le cinéma, d’abord comme scénariste. L’ironie veut que l’homme se spécialisa rapidement dans le western (il fut ainsi un des scénaristes non crédités de Pour une poignée de dollars et Pour quelques dollars de plus de Sergio Leone, ou encore de Django de Sergio Corbucci, rien de moins !), mais n’en tourna plus tard aucun lui-même. Après une longue carrière en tant qu’assistant, Di Leo écrivit et réalisa ses propres films à partir de 1968. Il expérimenta alors plusieurs styles, avec des résultats parfois extravagants (le giallo gothique Les Insatisfaites poupées érotiques/1971, dans lequel on retrouve Klaus Kinski alors en plein naufrage « bis »), avant que cet admirateur de Jean-Pierre Melville ne se lance en 1972 dans la réalisation de la trilogie de films noirs qui nous occupe, sous la houlette du producteur Armando Novelli. Précisons d’emblée que le terme « trilogie » est trompeur, les trois œuvres étant liées par un style commun mais non par une continuité narrative.

Milan calibre 9 (Milano calibro 9/1972) 

Vaguement basé (seuls quelques éléments ont été conservés) sur un roman de l’auteur italien de polars Giorgio Scerbanenco, Milan calibre 9 constitue, selon nous, la pièce maîtresse de la carrière de Di Leo, et donc le meilleur film inclus dans ce coffret. Comme dans tout bon poliziottesco, il met en scène une galerie d’individus patibulaires aux accès fréquents de violence brutale et dont aucun n’est moralement à sauver – y compris l’anti-héros Ugo Piazza (cf. le twist final bien amené). Piazza est interprété par Gastone Moschin, célèbre comédien italien plutôt spécialisé dans la comédie mais qui connut son heure de gloire peu avant ce film dans le rôle du fasciste Daniele dans Le Conformiste de Bertolucci (1970), et qui tournera même en 1974 dans le deuxième volet du Parrain de Coppola. Même si on a le droit de ne pas partager l’enthousiasme de René Marx (cf. Suppléments plus bas) en observant sa palette émotionnelle aussi large que Steven Seagal dans ce film, Moschin remplit le cahier de charges dans le rôle d’un « dur » d’abord malmené puis réglant ses comptes de manière pour le moins expéditive.

Autre caractéristique commune à ce type de productions, le casting aux côtés de Moschin est international. On y retrouve ainsi le comédien germano-suisse Mario Adorf (son père étant un médecin italien, il maîtrise parfaitement la langue), une sacrée gueule qui tournera notamment en 1979 dans le célèbre Tambour de Volker Schlöndorff. Adorf assume ici totalement le côté caricatural de son personnage, un homme de main complètement psychotique, en poussant le curseur de ses explosions de fureur systématiquement dans le rouge, notamment dans une scène finale particulièrement brutale pour l’époque. La distribution comprend également le sex-symbol germano-américain Barbara Bouchet (fameuse scène de danse !), les Américains Lionel Sander et Frank Wolff, le Français Philippe Leroy (révélé par Le Trou de Becker en 1960), etc.

Nous sommes ici dans du cinéma d’exploitation haut de gamme, le film étant traversé à la fois par les outrances qu’implique le genre (déchaînements de violence particulièrement abrupts, complaisance érotique, personnages amoraux) et par des jaillissements de grand cinéma. Quelques séquences marquantes (l’ouverture au dôme de Milan, les jeux d’ombres et lumière entre gangsters dans la voiture, etc.) font montre d’une maestria indéniable dans le chef de Di Leo, surtout en tenant compte de conditions de tournage spartiates. La touche politique du cinéaste italien se retrouve notamment dans cette étonnante confrontation entre un flic conservateur et corrompu et un autre idéaliste et communiste, greffée à une intrigue sans rapport direct. L’œuvre marque enfin par sa bande originale exubérante et très présente, composée par Luis Bacalov et jouée par le groupe de rock progressif italien Osanna. Bref, une œuvre d’anthologie de cinéma bis baroque, violent et à l’excès érigé en principe. Di Leo au sommet !

Synopsis : Après avoir purgé une peine de quatre ans de prison, Ugo Piazza est relâché pour bonne conduite. Son ancien complice, Rocco, un dangereux homme de main au service de « l’Américain », lui met la main dessus. Une somme importante a été dérobée avant son incarcération et Ugo était le dernier à avoir accès au magot…

Passeport pour deux tueurs (La mala ordina/1972) 

Tourné la même année que Milan calibre 9, Passeport pour deux tueurs (également connu sous le titre L’Empire du crime), coproduit par Roger Corman, est une nouvelle adaptation de Scerbanenco. Si elle est un peu moins convaincante que la précédente, la faute à un récit qui met du temps à réellement démarrer, l’œuvre ne manque pas d’intérêt pour autant. L’écriture s’est affinée et Di Leo a encore gagné en maîtrise, comme le prouvent les nombreuses explosions de violence qui arrivent sans crier gare, lors desquelles la mise en scène habituellement sage devient débridée, presque hystérique. Il en va ainsi de l’incroyable et très longue scène de poursuite, de la confrontation finale digne d’un western, dans la casse automobile, etc. L’action, comme hors de contrôle, y franchit gaiement les frontières du vraisemblable (ce pare-brise éclaté à coup de boule !), mais qu’importe : visuellement, Di Leo met le spectateur K.O.

Mario Adorf rempile dans ce film, mais dans un rôle différent, plus nuancé. Maquereau sans envergure, hâbleur et un peu pathétique, Luca Canali se retrouve bien involontairement la cible d’une manipulation orchestrée par le parrain local afin de lui faire porter la responsabilité d’un vol d’une cargaison d’héroïne. Le spectateur découvrira la machination à peu près en même temps que le protagoniste dont le meurtre de sa famille va provoquer un basculement radical. Assoiffé de sang, il se mue alors en héros d’un revenge movie qui dézingue tout sur son passage.

Les deux tueurs envoyés de New York pour lui faire la peau sont interprétés par Woody Strode et Henry Silva, deux comédiens américains au parcours professionnel typique de l’époque. Star de football américain, le premier fut un des premiers joueurs noirs à évoluer dans la NFL. Sa carrière cinématographique entamée au début des années 50 culmina grâce à son amitié avec John Ford, qui lui confia le rôle-titre du Sergent noir (1960) ainsi qu’un rôle secondaire dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962). Il décrocha également un rôle important dans Les Professionnels (1966) de Richard Brooks, avant de partir pour l’Europe à la fin des années 60. Après avoir obtenu un petit rôle dans un autre classique du western, Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (il y interprète un des assassins dans la célébrissime séquence d’ouverture), Strode décida de rester en Italie où il enquilla les rôles dans des productions bis. Henry Silva fut, quant à lui, une fameuse « gueule » de cinéma. Il devint rapidement une star récurrente du cinéma du genre dans lequel son regard dur et son visage marmoréen lui valurent quantité de rôles d’antagoniste, un destin somme toute décevant pour cet ancien élève de l’Actors Studio (!) Après avoir lui aussi connu le succès (modéré) dans son pays, en tournant notamment sous la direction de Boetticher, Milestone ou Frankenheimer, il décrocha un rôle principal salué par le public et la critique dans le film noir La Revanche du Sicilien (1963) de William Asher. A l’instar de Strode, c’est un western (Du sang dans la montagne, Carlo Lizzano/1966) qui précipita son émigration vers l’Europe. Entre 1966 et 1975, il y tourna plus de vingt longs-métrages, surtout dans le genre poliziottesco dont il devint une figure emblématique.

Synopsis : Un chargement de drogue disparaît entre New York et l’Italie. Luca Canali est soupçonné d’être l’auteur de ce vol et est traqué par deux tueurs à gages. Mais les véritables auteurs du vol sont également à la recherche de Canali pour l’empêcher de parler. Quand la famille de ce dernier est assassinée sous ses yeux, il cesse de fuir et entreprend sa vengeance.

Le Boss (Il Boss, 1973)

Troisième et dernier film inclus dans le coffret, Le Boss se distingue en étant le seul dont l’action ne se situe pas à Milan, mais en Sicile. C’est aussi le seul des longs-métrages proposés à ne pas être adapté d’une œuvre de Scerbanenco. Davantage film de mafia que polar, Le Boss est clairement influencé par le succès du Parrain, sorti l’année précédente, à travers le milieu de la Cosa Nostra et ses règlements de compte, bien sûr, mais aussi via la présence de deux acteurs du film de Coppola : Richard Conte et Corrado Gaipa. Le premier, qui interpréta dans Le Parrain Don Barzini, le principal opposant à Don Corleone, retrouve ici son costume de parrain de la mafia, tandis que le second, qui joua un parrain sicilien accueillant un Michael Corleone en fuite, il est ici l’avocat Rizzo, celui qui joue l’intermédiaire entre les différents clans mafieux. Le visage plus inexpressif que jamais, Henry Silva hérite du rôle principal, celui d’un lieutenant obéissant qui profite de l’éclatement d’une guerre des clans pour faire place nette…

S’il bénéficie du meilleur casting parmi les trois films présentés, Le Boss vaut surtout pour son traitement du milieu du crime organisé. Loin du Parrain et de ses innombrables émules (surtout en Italie), Di Leo ne se contente pas d’appliquer la logique du cinéma d’exploitation en proposant une resucée d’un modèle à succès. Son portrait de la mafia est sans fard, cru et réaliste. A la dignité et à la stature de Don Corleone et aux salons feutrés où les décisions se prennent, le cinéaste italien oppose des bandes de crapules hypocrites, sans foi ni loi et qui entretiennent un cycle de violence permanente. Aucun personnage n’est à sauver dans cette représentation presque nihiliste d’une Sicile pourrie jusqu’à la moelle. La collusion entre réseaux criminels, forces de l’ordre et monde politique est montrée avec bien plus de finesse que le surjeu de certains acteurs ne le laisse supposer, tandis qu’on retrouve dans la violence permanente une nouvelle parabole du climat régnant à l’époque dans la péninsule. On retrouve d’ailleurs toujours ces déflagrations de brutalité, signe distinctif du style Di Leo, notamment lors du massacre initial au lance-grenades ou dans la succession délirante d’assassinats dans la dernière partie du film. Autre « touche » de Di Leo qu’on retrouve ici : les dialogues à connotation morale ou politique, au propos virulent voire profond (cf. le monologue de Cocchi), mais toujours aussi incongrus dans une production bis qui ne lésine pas sur les macchabés et l’hémoglobine.

On notera enfin dans le cadre de ce film – mais on pourrait le faire au sujet de chacun des trois opus – la misogynie assumée du cinéma de Di Leo. Certes, il convient de la resituer dans la logique du cinéma d’exploitation qui en est friand mais aussi de l’Italie machiste des années 1970, mais Di Leo y va tout de même un peu fort. Dans Le Boss, la guerre des clans débute ainsi lorsque, à la suite du massacre au lance-grenades, un gang rival kidnappe la fille de Don Daniello. Le viol collectif auquel les malfrats soumettent la jeune et ravissante jeune fille n’a pourtant rien de sordide… car la victime se révèle une nymphomane qui jouit de ce traitement ! Une fois libérée, elle viendra même en redemander auprès de Lanzetta (Henry Silva) !

Synopsis : A Palerme, Nick Lanzetta est l’homme de main d’une famille mafieuse sicilienne, sous les ordres de de Don Giuseppe Daniello, lui-même lieutenant de Don Corrasco. Il est missionné pour éliminer les principaux dirigeants d’une famille ennemie. Le massacre déclenche une guerre violente entre Siciliens et Calabrais. Meurtres et rapts vont se succéder dans une lutte qui va remettre en cause toute la structure de la mafia palermitaine.

SUPPLÉMENTS

Le moins que l’on puisse dire est que Elephant Films a mis les petits plats dans les grands. Si ressortir trois opus majeurs de Fernando Di Leo en version intégrale (les versions censurées sont également proposées en version française) est un cadeau en soi, que dire des suppléments de près de 4h en tout !

Tout d’abord, René Marx, rédacteur en chef adjoint de L’Avant-Scène Cinéma, propose une analyse détaillée de chaque film. Le spécialiste évoque bien sûr Di Leo, son parcours, son style, ses obédiences politiques et les différents motifs que l’on retrouve dans ses films (Milan, les années de plomb, la criminalité, l’érotisme, l’amoralité des personnages, les explosions de violence, la misogynie, etc.). Parmi les nombreux points abordés, on retiendra notamment le fait que Di Leo accorde à Milan un rôle essentiel, mais le cinéaste montre tout de la ville lombarde, aussi bien ses lieux touristiques que ses mauvais quartiers, ses rues anonymes et même sa banlieue. Marx souligne également qu’il y a dans la misogynie (voire le « sadisme », selon lui) de Di Leo un rapport étonnant à la morale. Ainsi, dans Le Boss, c’est comme si la nymphomanie, la culture hippie et la consommation de cannabis justifiaient le sort peu enviable de la jeune fille, tout comme la veule bande de mafieux se fait massacrer en pleine projection privée d’un film pornographique. Marx évoque aussi le portrait de la mafia dans ce même film, qui mêle les thèmes habituels du code de l’honneur, de la famille et de la prise de pouvoir générationnelle à une représentation assez fidèle et sans complaisance du « milieu ». S’il est permis de penser que Marx, très enthousiaste, survend tout de même un peu les films qu’il analyse, en passant outre certaines outrances typiques du cinéma d’exploitation, on ne peut que se rallier à son avis lorsqu’il évoque les nombreux exemples de mise en scène brillante de Di Leo.

Autre bonus d’excellente qualité : l’analyse du cinéma de Di Leo par Laurent Aknin. Si celui-ci fait également partie du comité de rédaction de L’Avant-Scène Cinéma, ses propos évitent toute redondance avec ceux de René Marx et il livre plusieurs clés intéressantes. Aknin resitue Di Leo dans ce qu’il appelle la « deuxième vague du cinéma bis italien », après celle que connut la péninsule dans les années 50 et 60, puis s’attache à en reconnaître les défauts et limites qu’impliquèrent des budgets ridicules et des conditions de tournage « sportives ». Ces dernières rendent les qualités du cinéaste italien d’autant plus remarquables. Aknin revient également sur les raisons de l’échec relatif du néo-polar italien dans les salles françaises, où il fut concurrencé par les films de kung fu et handicapé par la limitation d’âge imposée eu égard à sa violence graphique. Aux États-Unis, en revanche, ce sous-genre eut un certain succès, ce qui explique que beaucoup d’acteurs italiens y ont joué et que des personnalités comme Tarantino y ont puisé une influence (Aknin voit ainsi dans le duo de tueurs blanc et noir de Pulp Fiction un clin d’œil évident à Passeport pour deux tueurs). S’il précise, au sujet de Henry Silva, qu’il fut réduit, comme plus tard Jack Palance, à une caricature du visage de marbre, Aknin conseille de replacer cela dans la tradition artistique italienne afin d’en nuancer la perception négative. Il rappelle aussi que le dernier rôle d’importance de Silva lui fut confié par Jim Jarmusch dans son Ghost Dog (1999). Enfin, le spécialiste relativise quelque peu le regard critique de son compère René Marx au sujet de la misogynie dans le cinéma de Di Leo. Non sans raison, il précise que « les hommes prennent cher aussi » dans ce qui constitue finalement la grammaire du genre. Les femmes n’ont certes jamais incarné des héroïnes dans les poliziotteschi, mais cela fut compensé dans d’autres sous-genre du cinéma bis, notamment la sexy comedy italienne, également en vogue à cette époque, dont les femmes étaient les héroïnes et les hommes systématiquement ridiculisés.

On trouve également, répartie sur les trois disques du coffret, une série de documentaires d’époque (on en ignore l’année exacte), produits par Cinema Bis Communication. S’ils ne sont pas tout récents, ceux-ci combleront toutefois les aficionados de Fernando Di Leo tant ils fouillent tous les aspects de son cinéma, ne négligeant pas de révéler bon nombre de secrets de fabrication et d’anecdotes. Dans le documentaire consacré à Milan calibre 9, tout est passé en revue (scénario, mise en scène, musique, interprétation, montage, etc.) via des interviews de plusieurs spécialistes italiens qui connaissent le film sur le bout des ongles, mais aussi de Di Leo lui-même, ses collaborateurs (le monteur Amedeo Giomini, le chef opérateur Franco Villa, le compositeur Luis Bacalov, etc.) et plusieurs comédiens dont Philippe Leroy et Barbara Bouchet. Un autre aborde la « morale du genre » en compagnie des mêmes contributeurs, tandis qu’un troisième s’intéresse à Giorgio Scerbanenco, écrivain prolifique au style sec et brutal qui s’est très tôt éloigné des pastiches américains, courants à l’époque, pour ancrer ses fictions dans la réalité italienne afin de rendre compte des bouleversements que connaissait le pays – et la ville de Milan en particulier. Talent reconnu sur le tard, et assez peu en-dehors des frontières italiennes, célèbre notamment pour sa série Duca Lamberti, son décès en 1969 l’empêcha de voir les adaptations de ses œuvres par Di Leo (même le premier, La Jeunesse du massacre, sortit l’année de sa mort). Un autre documentaire est consacré au film Passeport pour deux tueurs, tandis que celui accompagnant Le Boss se penche sur la représentation de la mafia dans le film du metteur en scène italien. L’occasion de rappeler que cette œuvre fit beaucoup de bruit à sa sortie, notamment auprès du ministre Giovanni Gioia qui se reconnaissait dans un personnage de politicien pourri (quel aveu !) et perdit un procès intenté contre Di Leo. En Sicile, la mafia a elle-même tenté de se mêler au tournage de ce film qui en donne une image il est vrai peu reluisante. Au final, dans l’ensemble de ces documentaires hyper complets, on peut dire que tous les collaborateurs principaux de Di Leo interviennent, sauf Henry Silva et Mario Adorf, pourtant toujours en vie (même s’ils sont aujourd’hui tous deux nonagénaires).

Les insatiables pourront enfin compléter ce très riche menu avec un livret de 52 pages illustré par de nombreuses photographies et affiches de films. Rédigé par Alain Petit, un vrai passionné et connaisseur du cinéma bis (du western spaghetti à Jesús Franco) mais aussi un touche-à-tout (éditeur de fanzine, adaptateur-dialoguiste, rédacteur, conseiller cinématographique et auteur, entre autres), le texte passe en revue l’histoire du poliziottesco et le contexte dans lequel il naquit, ainsi que le parcours de Fernando Di Leo. Ajoutez-y une courte fiche biographique des comédiens principaux avec leur filmographie sélective, ainsi que les crédits des trois films, et vous tenez là ce qui peut décemment être qualifié d’édition « définitive ». Voici un hommage flatteur à un cinéaste désormais sorti de l’oubli, et un travail d’édition colossal qu’on ne peut que saluer bien bas !

Suppléments des éditions DVD et Blu-ray :

  • Les films par René Marx
  • Milan calibre 9 : un documentaire
  • La morale du genre (sur Fernando Di Leo)
  • Giorgio Scerbanenco : le maître du polar italien
  • Fernando Di Leo par Laurent Aknin
  • Passeport pour deux tueurs : un documentaire
  • Histoires de mafia
  • Galerie de photos commentée par Gastone Moschin
  • Bandes-annonces
  • Livret de 52 pages rédigé par Alain Petit

Note concernant les films

3.5

Note concernant l’édition

5