Avec Phenomena, Argento ouvre une nouvelle page de sa filmographie. Il s’intéresse ici à la psyché féminine au travers d’une histoire mêlant le giallo et le fantastique. Un nouveau cap qui annonce pour certains un avenir peu radieux.
Les années 80 marquent pour beaucoup le début de la fin pour Dario Argento. Le maestro qui a su imposer sa patte inimitable dans les années 70 semblent avoir perdu son mojo. Mais ça, c’est ce que dise les pragmatiques qui ont besoin d’un scénario cohérent. On avait déjà eu un avant-goût avec Inferno, dont même Argento ne savait pas vraiment de quoi il parlait mais qui fonctionnait comme une exercice d’association d’idées. Phenomena poursuit cette voie et a de quoi filer de l’urticaire à toutes les personnes réticentes à son cinéma. Pourtant, Phenomena est peut-être le film d’Argento qui se rapproche le plus de son oeuvre iconique, Suspiria.
Les points communs avec Suspiria sont nombreux. Encore une fois, Argento délocalise son intrigue dans un univers qui n’est pas forcément propre à une ambiance horrifique. Après l’école de danse à Fribourg, c’est une académie pour filles perdue dans les Alpes Suisses qui sera le lieu de découvertes macabres. Il est également facile de rapprocher le personnage de Jennifer Corvino, jouée par une jeune Jennifer Connelly tout droite sorti de Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, cinéaste avec lequel Argento a fait ses classes à Suzy Banner, le personnage campé par Jessica Harper dans Suspiria. Deux personnages de jeune fille encore innocente, étrangère, qui se retrouve propulsée dans une nouveau monde, la transformant malgré elle en héroïne de conte de fées horrifique. Le maestro s’amuse d’ailleurs à puiser des idées dans plusieurs autres de ses films, notamment au niveau des motivations de l’assassin ou dans la relation entre Corvino et le professeur John McGregor pouvant rappeler le duo du Chat à neuf queues.
Phenomena s’inscrit à merveille dans toute l’imagerie fantasmatique développée par Argento. Se situant à la croisée des chemins entre le giallo de Profondo Rosso et le fantastique de Suspiria, Phenomena confronte une horreur parfaitement réelle et tangible (ces jeunes filles se faisant trucidées) et de purs moments d’onirisme convoquant le merveilleux. Comme souvent, c’est au travers d’une esthétique très travaillée s’amusant avec les contrastes. Ces contrastes transparaissent surtout au niveau des insectes, jouant un rôle particulièrement important dans le film. Ces insectes constituent à eux seuls les deux climats diamétralement opposés qui régissent Phenomena. D’un côté, cette magie se manifeste grâce à la relation de Jennifer avec ces derniers. La jeune fille possède en effet des pouvoirs psychiques lui permettant de rentrer en communication et de commander des essaims entiers. De l’autre, l’aspect funeste propre à certains insectes nécrophages ou se reproduisant à l’intérieur des cadavres. Argento n’hésite d’ailleurs pas à passer d’une séquence poétique à l’image de cette déambulation nocturne de Jennifer suivant une luciole à une apparition de pure terreur morbide sous la forme d’une tête infestée de vermines. Tout cela est au service d’une opposition encore plus grande entre la psyché et ses fulgurances oniriques et la chair porteuse d’un message fatal.
Dans la filmographie d’Argento, Phenomena marque le départ d’une thématique prépondérante dans la suite de sa carrière. Il s’agit de la psyché féminine. Pour Phenomena, et les 3 autres films qui vont suivre et notamment les deux mettant en scène sa fille Asia Argento, le transalpin va mettre en scène des jeunes filles souffrant la plupart du temps d’un mal qui lui ouvrira les portes d’un nouvel univers. Le cinéma d’Argento a longtemps été une question de personnage ne pouvant pas pénétrer dans l’image qu’il observe, le contraignant à un rôle de témoin impuissant. Dans Phenomena, Jennifer va, telle une Alice, enfin passer de l’autre côté de ce miroir. C’est au travers de crises de somnambulismes que la jeune femme va pouvoir trouver la clé de l’énigme. Les insectes ont également un rôle à jouer dans le développement de la psyché de Jennifer. Argento s’en amuse d’ailleurs avec une petite référence étymologique, le terme psyché renvoyant à la fois à l’âme en grec ancien mais également à une variété de papillon. Ces insectes vont ainsi marqué un changement dans l’«âme» de Jennifer. Toutes ces manifestations paranormales qui apparaissent autour de Jennifer peuvent alors s’interpréter comme une transformation. Telle une chenille se métamorphosant en papillon, la jeune fille laisse place à la femme. La pureté de l’enfance se retrouve malmené par l’ambiance sordide qui l’entoure. Au conte de fée poétique et morbide s’ajoute donc une dimension coming of age.
Malgré toutes ses qualités évidentes, Phenomena s’attire déjà les foudres de certains détracteurs. Il faut dire que le style Argento s’exprime parfois de façon hasardeuse. Mais sous ces abords de roue libre, Argento joue avec les images, et prend à bras le corps le côté fantasmagorique propre aux univers et aux thématiques qu’il aborde. Il ne faut pas hurler à ce qui pourrait s’apparenter à des fautes de goûts, mais les prendre comme de véritable incursion onirique ou cauchemardesque dans une psyché en plein chamboulement. Il n’est donc pas étonnant de voir à certains moments, le maestro troqué les partitions progressives de son groupe fétiche Goblin pour le heavy metal tonitruant de Iron Maiden. Tout comme il ne faut pas souffler du nez, lorsque Jennifer s’enfonce dans les derniers moments du film dans un cauchemar sans fin où le spectacle grand-guignolesque oscille entre la terreur et l’absurdité. Phenomena est donc un pur produit estampillé Argento qui répond à une logique propre à son auteur, où se côtoient poésie et hantise, le tout au service d’un conte de fées macabre sur la métamorphose d’une jeune femme.
Phenomena – Bande-annonce :
Phenomena – Fiche Technique :
Réalisateur : Dario Argento
Scénario : Dario Argento et Franco Ferrini
Interprétation : Jennifer Connelly, Donald Pleasance, Daria Nicolodi, Patrick Bauchau
Musique : Goblin
Photographie : Romano Albani
Montage : Franco Fraticelli
Distribution : Les Films du Camelia
Durée : 109 minutes
Genres : Horreur, Fantastique
Date de sortie (France) : 12 juin 1985 Ressortie : 27 juin 2018
Italie – 1985