Troisième jour à Gérardmer. La brume a laissé place à un soleil éclatant. Les salles obscures sont pourtant pleines et la foule semble ravie. Et pour cause : de belles découvertes aujourd’hui, avec Resvrgis, un film de loup-garou italien, Roqya, une histoire de chasse sorcière dans une banlieue française, et The Seeding, un conte diabolique sur la paternité, entre le redneck et le folk-horror.
(Hors-compétition) – Rokya -Réalisé par Saïd Belktibia (France, 2024)
Dans une banlieue française quelconque, Nour (la lumière en arabe), jouée par Golshifteh Farahani, vend ses recettes et ses services de sorcières, accompagnée de son jeune fils Amine (l’équivalent arabe de « Amen »). Quand un jeune homme dont elle s’occupe se suicide, Nour, immédiatement désignée comme responsable, devient le bouc-émissaire de la cité et, littéralement parlant, l’objet d’une chasse aux sorcières.
Qu’est-ce qu’une sorcière au XXI°siècle ? Au prix, peut-être, d’une certaine invraisemblance, Saïd Belktibia a forgé un personnage qui participe de la figure traditionnelle de la sorcière (elle est belle et indépendante ; son appartement est plein d’animaux inquiétants et exotiques ; elle semble faire le malheur des hommes, à voir la rancune qui anime son ex-compagnon et père de son fils (Jérémy Ferrari étonnant de justesse) et, à la fois, se présente comme un renouvellement de cette même figure, compte tenu des conditions matérielles et spirituelles d’existence de ces quartiers périphériques de notre Occident post-moderne (Nour ne semble pas tellement croire en la magie ; c’est un business comme un autre sur lequel elle cherche à capitaliser en créant une application de type doctissimo pour les marabouts). Une image illustre parfaitement cette rencontre de l’ancien et du nouveau : quand Nour contemple la ville de nuit, du haut de son HLM, un boa autour du cou.
Saïd Belktibia, ancien membre de Kourtrajmé, choisit là un angle original, les pratiques magiques, pour raconter la banlieue, et cet angle se révèle finalement bien plus pertinent que le problème si essoré des rapports entre les jeunes et la police. A travers les péripéties de Nour, se découvre un monde à part, clos sur lui-même, fonctionnant selon des croyances et des représentations à la fois traditionnelles et déstructurées, ancestrales et post-modernes ; un monde qui plus est dont le film sait nous faire éprouver la texture relationnelle, texture dense, entretenue par les réseaux sociaux, et dont la richesse même fera le malheur de Nour. C’est parce qu’en banlieue vivent encore des communautés soudées, organiques, où tout le monde s’occupe un peu de tout le monde, que quelque chose comme une chasse aux sorcières peut avoir lieu. La solidarité a sa grandeur et ses revers. L’anomie a du moins ce mérite de constituer une sorte de refuge au déviant.
Le film documente aussi très justement un certain état spirituel des banlieues. Loin d’une transposition dans un autre espace géographique de pratiques religieuses et magiques issues de l’Afrique, Rokya fait plutôt l’exposition d’un grand bazar spirituel, entre vieille sorcière musulmane conduisant des exorcistes avec un prêtre catholique, et centre de guérison spirituel islamique aux allures d’hôpital.
Assez étonnamment (ou très pertinemment), la fonction publique (police, pompiers, vrais docteurs, etc… ) est rigoureusement absente du film, comme si ces territoires périphériques avait définitivement rompu avec l’Etat français. Aucun personnage n’a la présence d’esprit de faire appel à celui-ci, à moins d’y être particulièrement acculé, et encore. Nour, qu’on agresse et qu’on tente même d’assassiner, ne semble pas envisager un seul instant de chercher protection auprès de la police. Cette absence significative de l’Etat appelle réflexion, et contient quelque chose d’ambiguë. Car, en effet, si elle dit la tendance d’autonomisation des quartiers (ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose), elle pourrait également suggérer que ce retrait, plus que de laisser respirer ces territoires, ne fait qu’occasionner leur montée en barbarie. En ce sens, le film nous laisse avec un sentiment de confusion quant à son sous-texte politique, ce qui commence à devenir une récurrence chez les anciens de Kourtrajmé passés au long (Ladj Ly, Romain Gavras).
A part cela, le film est techniquement maîtrisé, malgré une baisse de rythme au milieu, que le cinéaste ne parvient jamais vraiment à rattraper. On peut noter aussi un bel investissement du potentiel symbolique de ces territoires de banlieue, fait assez rare quand on y pense. Néanmoins, si Roqya propose un dispositif original, on sent au fur et à mesure que l’intrigue avance que le scénario peine à trouver sa résolution, se contentant d’un portrait de mère à l’enfant, touchant mais un peu léger au vu de ce que le film promettait.
(Compétition) – The Seeding – Réalisé par Barnaby Clay (Etats-Unis, 2023)
Un homme, le genre cadre trentenaire, venu dans le désert pour voir et photographier une éclipse, s’y égare. Arrivé près d’une cuvette large et profonde, au centre de laquelle est une maison habitée par une jeune femme, l’homme y descend, par une échelle mobile, espérant y trouver de l’aide. La jeune femme se montre aussi hospitalière et douce que taiseuse. L’homme accepte son invitation de rester pour la nuit. Mais au petit matin, l’échelle a disparu. Assez vite, l’homme comprend qu’une bande de jeunes rednecks dégénérés est en train de se jouer de lui. La plaisanterie se fait de plus en plus longue et cruelle. Notre homme semble irrémédiable coincé dans cette cuvette, avec cette jeune femme, assez belle et charmante par ailleurs. Mais qui est-elle ? Nous ne saurons jamais son prénom. Que fait-elle ici ? Est-elle complice de ce jeu, ou l’une de ses victimes rendues consentantes par le temps et le désespoir ?
The Seeding est peut-être, de ce festival, l’un des films les plus remarquables du point de vue formel. Les cadres sont d’une précision maniaque, et d’une grande beauté ; l’impression de claustrophobie à ciel ouvert est assez bien rendue, et les indices nombreux qui parsèment le film, comme pour nous préparer à ses révélations, attestent d’une certaine maîtrise de son récit ainsi que de son champ symbolique. Peut-être, cette dernière qualité est-elle d’ailleurs, tout à la fois, sa puissance et son défaut. Le film conduit ses métaphores et ses métonymies vertigineuse de manière sur-consciente, offrant un plaisir sans fin d’interprétation, mais au sacrifice de l’émotion et de la matérialité des images. Les minutes passant, la situation angoissante du personnage principal nous étreint de moins en moins, pour ne laisser à la fin que des images splendides et de belles et tortueuses réflexions psychanalytiques. C’est déjà beaucoup, mais c’est toujours un peu décevant lorsqu’il s’agit d’un film d’horreur.
(Compétition) – Resvrgis – Réalisé par Francesco Carnesecchi (Italie, 2023)
Le festival est toujours l’occasion de constater que les vieilles formes du cinéma de genre – esthétique codifiée par essence – produit de nouvelles perles. Resurgis réinvestit le film de loups- garous à la sauce féminine, avec élégance et intelligence, sans tomber dans les travers poussifs du militantisme marketing à la sauce Netflix. Au contraire, la scène de meurtre finale intense vient clouer le cercueil de toute sororité illusoire et bon marché.
Sara revient de deux ans de prison pour meurtre. Défoncée à la cocaïne et à l’alcool, la conduite sur les routes transalpines de montagne fut rude et le poids de la culpabilité la condamne à ne se sentir plus jamais vraiment à l’aise en société. Mais quoi de mieux pour renouer les liens qu’un weekend champêtre entre amis à chasser le sanglier ( Italie oblige) ? Évidemment la trame est sans surprise puisque de chasseurs, le groupe d’amis devient chassé et le sanglier fait place à un énorme loup- garou que le réalisateur a l’intelligence de ne presque jamais filmer en pleine lumière – laissant dans l’ombre la menace et le manque de budget.
Le cinéma italien fut l’un des plus prolifiques et magnifiques dans le genre de l’horreur et regorge de chefs-d’œuvres. Si Resurgis ne peut sans doute pas prétendre à ce titre ( et n’en gagnera sans doute aucun au festival), le réalisateur filme ses personnages avec une sobriété et une élégance qui affleurent rarement dans le genre. Classiquement, le loup-garou explore la part bestiale de ses personnages, ici les personnages sont des héroïnes et les hommes des faire-valoirs. Elles aussi peuvent se confronter à la bête dans une vision qui semble toute nouvelle, échappant aux représentations masculines balisées.
(Hors-compétition) La Morsure – Réalisé par Romain de Saint-Blanquat (France, 2023)
Romain de Saint-Blanquat profite du festival pour nous livrer son premier long-métrage sur le thème de cette édition 2024 : les vampires, qu’il réinterprète à sa façon – personnelle et romantique. Pour lui, ce monstre tout en élégance rejoint les thèmes de l’émancipation et de l’indépendance. Pourquoi l’un et l’autre ? On peine à le comprendre tant le scénario semble manquer d’une destination claire.
Françoise et Delphine sont deux pensionnaires d’un établissement catholique privé et strict ( genre collège Stanislas parisien) dont les garçons – objet de désir donc d’interdit – sont évidemment absents. Sous l’effet d’un pendule mystérieux, elles décident de littéralement briser les idoles et la discipline et de s’enfuir. Le plan est de rejoindre les garçons dans un château et de faire la fête, de jouir d’une liberté qu’on devine jusqu’ici fantasmée. Le vampire qui donne son thème au film apparaît finalement et rejoint Françoise dans la mort. Toute heureuse de se donner en pâture au jeune monstre dont on ne saura jamais vraiment s’il est véritablement non-mort ou s’il est simplement déguisé, Françoise semble perdue comme le spectateur. S’ajoutent à ces éléments hétéroclites, un étrange adulte qui s’attache aux adolescentes, des tentatives de viol et un symbolisme religieux. Tous ces motifs sont visibles et remarqués mais jamais véritablement expliqués et les personnages ont l’air d’errer dans l’histoire.
Si bien que lorsque le dénouement arrive, il ne semble rien dénouer mais plutôt interroger le spectateur. Les défauts d’un premier film en somme.