Viva la muerte : Voici venu le temps des assassins

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Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

 Présenté au Festival de Cannes, en version remastérisée, le chef-d’œuvre de Fernando Arrabal – Viva la muerte ! – a mis le feu à la Croisette, en bénéficiant d’une exceptionnelle restauration dont nous aurions tort de ne pas parler.

Viva Arrabal !

Connaissez-vous Fernando Arrabal ? Auriez-vous (à tout hasard) entendu parler de Viva la muerte ! ? Non ? Nous non plus (on vous rassure). Vous savez ce qu’on dit :  dans le septième art, tous les chemins mènent à Cannes (ou presque). Il a, en effet, fallu un miracle cannois pour que nous découvrions ce chef-d’œuvre cinématographique (injustement) passé sous les radars des livres d’Histoire. Présenté à la Semaine de la Critique en 1971, le film est directement entré dans la catégorie des œuvres polémiques. Le réalisateur espagnol frappait un grand coup avec un premier long-métrage antifasciste en forme de coup de poing. Quel est donc cet uppercut dont Cannes ne tarit pas d’éloges ?

L’intrigue se situe dans l’Espagne franquiste. Après leur victoire, les fascistes instaurent une nouvelle loi nommée « Viva la muerte ! » qui punit de mort toute personne hostile au régime. Voici venu le temps des assassins (fascistes). Fando (Medhi Chaouch) est l’une des nombreuses victimes (collatérales) de ces purges antirépublicaines. Un jour, son père est emmené par l’armée franquiste. Persuadé que ce dernier est toujours vivant, Fando se met en tête de le retrouver. Cette quête prend la forme d’une enquête fantasmagorique et hallucinée. Le jeune garçon promène sa curiosité au milieu d’un monde entartré dans une dictature infernale.

Fernando Arrabal réussit un tour de force : celui d’évoquer avec maestria le quotidien – dans une société fasciste – sans jamais nommer ou montrer lesdits fascistes. Pourtant, on ne peut pas dire que le cinéaste fasse les choses dans la dentelle. Le réalisateur n’y va, en effet, pas par quatre chemins pour dire tout le bien qu’il pense du régime franquiste qui – on le rappelle – est encore en place au moment où sort le film. Nul recourt à la suggestion, le cinéaste envoie valser les digues de la censure, en choisissant de faire passer l’horreur via une fantasmagorie (qui ne se refuse rien).

Viva la vida ?

Regarder Viva la muerte ! implique de voir deux films (en un). Il y a le film de Fernando Arrabal et celui que se fait son héros Fando. Celui-ci possède, en effet, une imagination qui déborde des cadres cinématographiques (de la bien-pensance). Quand il découvre que sa mère aurait à voir avec l’arrestation de son père, Fando se met à imaginer le pire (ou presque). S’ensuivent alors des scènes fantasmagoriques dont le contenu varie en fonction de ce que vit l’enfant. Les fantasmes de Fando mettent en scène une violence (étatique et familiale) décomplexée, délestée des traditionnel non-dits du quotidien.

Les rêveries du héros ne sont pas un moyen – pour le cinéaste – de contourner la censure. Viva la muerte ! fait fi des règles et autres tabous (au cinéma comme en politique). L’œuvre constitue déjà, en soi, un défi jeté à la face de Franco (et des régimes fascistes). Le réalisateur provoque en évoquant un quotidien nimbé de violences en tout genre. Maltraité par sa tante, trompé par sa propre mère, et livré à lui-même dans un univers où les séances de torture en plein air remplacent les bals-musettes, Fando subit, de près comme de loin, de multiples formes de violences physiques et psychologiques. 

Si le fascisme n’est pas à l’origine de la violence intrafamiliale (que vit Fando), il constitue, néanmoins, pour le réalisateur, un vecteur qui l’alimente. Dans la famille du jeune garçon (comme au sein de toutes celles veulent rester en vie), les idées républicaines n’ont pas bonne presse. Fernando Arrabal met le doigt sur un système qui pousse ses habitants (et victimes) à devenir les (futur.e.s) complices du régime en dénonçant (sans délais) les récalcitrant.e.s (qui seraient (hélas) un peu « trop » libertaires). Les fantasmes de Fando constituent, en somme, une provocation supplémentaire dans un film qui – on l’aura compris – fait déjà figure d’œuvre choc, en introduisant une nouvelle catégorie, celle des O.F.P.A. (objets filmiques provocateurs et antifascistes). Fernando Arrabal offre une vision sans complaisance – c’est le moins qu’on puisse dire – de la vie sous le fascisme. Si Viva la muerte ! dézingue sans nul doute le traditionnel – et très hypocrite – « Viva la vida ! » franquiste, elle y parvient grâce à une mise en scène délibérément fantasmagorique, qui assume un caractère délibérément subversif.

Viva el cinéma !

 Viva la muerte ! est un film vu à hauteur d’enfant. Nous observons Fando de loin, comme un narrateur (faussement) omniscient. L’irruption des fantasmes de l’enfant vient interférer avec la narration autant qu’elle détrône le public de sa position surplombante. Nous sommes dans la tête d’un enfant qui, plongé dans un monde ultra violent, tente de (sur)vivre par le biais de son imaginaire. Les fantasmes du héros constituent, de toute évidence, un miroir peu reluisant de la société fasciste. Truffés de cynismes, aussi blasphématoires que terrifiants, filmés sur un rythme endiablé aux tons psychédéliques, les fantasmes du héros possèdent un caractère ouvertement blasphématoire (qu’il serait vain de vouloir tenter d’expliquer). Élevé dans un milieu catholique conservateur, Fando – qui connaît bien ses classiques en matière de religion – s’amuse à renverser les tabous du clergé et, par extension, toutes les valeurs prônées par le régime.

Viva la muerte ! se présente comme une variation ironiquement jouissive du thème biblique de la Piéta, cette représentation picturale (ou statuaire) de la Vierge Marie pleurant Jésus. La mère de Fando, interprétée par Nuria Espert, semble être l’antipode de la Vierge Marie. Fasciste convaincue, délatrice décomplexée, tolérant les maltraitances que subit son fils, cette dernière nous apparaît sous un jour peu flatteur. Cette image (déjà bien peu laudative) s’accentue encore dans les fantasmes de Fando. Fernando Arrabal s’autorise la provocation ultime en mettant un grand coup de pied à la (sacro) sainte figure de la Mère (naturellement maternelle et aimante). Bafoué par une mère qui lui explique qu’il doit « oublier » son père, Fando se venge – intérieurement – en l’imaginant volontiers comme un être diabolique et rusé, aussi bien ridicule que machiavélique. Les relations réelles (et rêvées) entre Fando et sa mère sont englobées dans une œuvre qui fait de la subversion un moyen (et non une fin en soi).

Si Fernando Arrabal s’en donne à cœur à joie, dans son exercice de destruction des valeurs établies, ce n’est certes pas simplement par volonté de pose. Le cinéaste ne cherche pas à susciter l’approbation du public. C’est, au contraire, en le confrontant à ce qu’il ne veut pas voir (et ne jamais pouvoir voir un jour) qu’il nous interroge. Questionner les limites de ce que l’on peut (et doit) représenter à l’écran se pose d’autant plus que le film évoque les dessous du régime fasciste. Fernando Arrabal force le spectateur à ne plus se cacher les yeux (ou se boucher les oreilles), en étant confronté à un monde cauchemardesque où réalité et fiction semblent être indistinctes, pour ne former plus qu’un seul et même enfer : celui du fascisme. Si Viva la muerte ! n’offre aucune issue positive, l’œuvre sonne comme un cri d’espoir désespéré, qui nous rappelle que l’art (de rêver ou de filmer) constitue, envers et contre tout, notre unique arme de salut.

Viva la muerte : Bande-annonce

Le film Viva la muerte de Fernando Arrabal est projeté au Festival de Cannes 2022 dans la Section Cannes Classics
Par Fernando Arrabal
Avec Fernando Arrabal, Anouk Ferjac, Nuria Espert…

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