Comme le disait Orelsan, la famille c’est que des emmerdes. Des repas qui n’en finissent pas avec des gens qu’on est obligé de voir, de l’argent jeté par les fenêtres à Noël et aux anniversaires, des névroses dont on ne se débarrasse jamais vraiment. Et accessoirement des films boursouflés chargés comme la dinde du réveillon qui accablent plus qu’ils ne libèrent le spectateur de son quotidien. Ca tombe bien, c’est aussi le thème de ce troisième jour de l’Arras Film Festival.
Reste un peu de Gad Elmaleh
Dans la catégorie « Je fais un film parce que je peux le faire », Gad Elmaleh a demandé à son chef op de faire des heures sup pour filmer son autofiction. Reste un peu parle de lui, Gad qui revient des States pour se convertir au catholicisme sans le dire à ses parents. Évidemment le secret est vite éventé, la mère juive se sent en concurrence avec la vierge Marie, le père est dans tous ses états, et le fils ne sait plus s’il doit faire trempette dans l’eau du baptême. Voilà voilà. La religion, c’est un sujet de société mais pas un film en soit. Elmaleh en représentation dit tout haut ce qu’il ne pense pas derrière la caméra, filme ses parents et ses potes en train de chercher leurs mots, et met en scène sa psychanalyse au frais du spectateur et les dix euros que lui ont coûté sa place de cinéma.
Les Miens de Roschdy Zem
Plus intéressant bien qu’inabouti, Les Miens prend lui aussi les outils du cinéma-vérité (logique avec Maïwenn en co-scénariste) pour raconter comment une famille se retrouve confrontée à sa dysfonctionnalité après l’accident du frère incarné par Sami Bouajila. Sur un personnage timide et effacé qui tourne 36 fois sa langue dans sa bouche avant de parler, Bouajila de la Tourette se met à sortir ses quatre vérités en trois mots à un casting pléthorique. C’est clairement la meilleure partie du film, parce que disruptive et même cathartique, dans un genre souvent plombé par ses rushs de dialogues raccordés au petit bonheur la chance au montage. Décidément l’un des meilleurs acteurs français, Bouajila en mode « tape qu’un coup » vise le KO sur un crochet verbal ou un uppercut du regard, sans chercher les combinaisons dans lesquelles se perdent ses proches.
Puis, Roschy Zem l’acteur s’impose au film de Roschdy Zem réalisateur en recentrant le récit sur son personnage wonder-boy qui reconnecte avec le vrai sens de la vie au contact de son frère handicapé. Une variation de Rain Man caméra à l’épaule qui ne s’imposait pas, et ne cohabite pas bien avec la première.
C’est un peu le même souci rencontré par Neneh Superstar, qui ne décide jamais vraiment quel film il doit raconter. Celui qui croise le film danse et d’entrainement, où une gamine de la Courneuve, surdouée et noire intègre le centre de formation de l’opéra de Paris, et se heurte aux bâtons que lui met dans les roues une vieille institution, et surtout une prof qui avance le racisme à visage découvert. Dans l’autre la dite marâtre mue en freak défiguré par la haine d’elle-même et de ses origines maghrébines, et pousse à l’échec la fillette qu’elle devrait prendre sous son aile. A l’écran, Maïwenn insuffle une souffrance palpable à son personnage qui transpire à l’écran et confère un beau relief à son personnage. Pas suffisant néanmoins pour faire la jonction entre deux films qui fonctionnent bien séparément mais se marient moyennement bien ensemble, et génèrent des lags dans le récit parfois rédhibitoire. Ce malgré une frontalité dans le traitement du racisme qui impose au spectateur révolté le stoïcisme contraint qui s’impose à ses personnages le subissent. Néanmoins, le film constitue une vitrine de choix pour ses acteurs, particulièrement pour Steve Tientcheu, daron sûr qui tient les murs et enveloppe le cadre comme Jean Gabin. Et surtout l’incroyable Oumy Bruni Garrel, tornade de charisme qui met le spectateur dans sa poche dès sa première apparition. Une graine de superstar que l’on est assurément appelé à revoir.
The quiet girl de Colm Bairéad
Enfin, on terminera cette journée avec quelques mots sur un film dont on vous implore à genoux de guetter la sortie française. Carton monstre sorti de nulle part qui a brisé quelques records en Irlande, The Quiet Girl fait partie qui rappellent pourquoi le cinéma. L’histoire est toute simple : une gamine mutique est envoyée par sa famille rongée par les non-dits passer un été à la campagne chez les cousins de sa mère. On vous venir : la petite va s’éveiller à la vie et à la parole entourée d’amour et d’eau fraiche. Et oui, mais pas tout à fait. Car si la petite va s’épanouir, le film continue de respecter le silence qui devient le moyen de communication élevé par lesquels communiquent les personnages. Le spectateur se laisse absorber par le grand écran dans ces espaces mentaux que seuls des personnes très proches et très aimantes peuvent partager.
The quiet girl est une expérience méditative et spirituelle au sens premier du terme, qui nous fait entendre la musique de l’âme quand se taisent les bruits du monde. Le réalisateur Colm Bairéad ne dit rien qui n’est plus important que le silence, et ne bouge sa caméra qu’en une seule occasion : lorsque la petite fille s’élance pour crever l’abcès qui existait encore avec ses parents de cœur. KO debout, des carafes d’eau dans les pupilles et le for intérieur apaisé : on sort du film débarrassé d’un poids qu’on ne pensait même pas trimballer. Puissance.