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D’argent et de sang : retour sur les premiers épisodes de la série

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

D’argent et de sang est la nouvelle création originale Canal Plus diffusée depuis octobre 2023. Aux commandes, le réalisateur Xavier Giannoli auquel on doit notamment les films A l’origine ou Marguerite. Des films où le mensonge conduisait loin. Ici, c’est avec cette même conviction de tromper, de voler que les personnages s’engagent dans ou contre « l’arnaque du siècle ». Une série comme son générique : qui claque, mais qui sonde aussi l’indécence de l’époque faite d’argent et de sang littéralement !

D’argent et de sang est une série réalisée par Xavier Gianolli. Le réalisateur a l’habitude de raconter des histoires de routes qui n’aboutissent nulle part ou de cantatrices aux voix insupportables pourtant applaudies par tous. Il sait raconter ceux qui fédèrent à partir de rien ou du moins sur du vide, de l’inexistant, et qui finissent par en payer le prix (une voix, une route). Ici, il raconte une arnaque d’une simplicité enfantine en apparence qui a pourtant brassé des milliards en peu de temps. Surtout, une fois encore, cette histoire est inspirée de faits réels et plutôt récents. Pour autant, Giannoli la raconte avec un sens du vertigineux et une limpidité assez bluffante ! On ne se perd jamais dans les explications et le rythme, pourtant endiablé, laisse place sans arrêt à la réflexion sur ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux interloqués. Cette limpidité est clairement due au personnage incarné par Vincent Lindon et qui guide le spectateur dans l’enquête tout au long des épisodes. Pourtant, ce personnage de Simon Weynachter est une pure fiction. Une enquête a bien été menée mais ce personnage tenace, habité voire hanté, est une invention. Il permet de faire le lien entre l’affaire folle qui se déroule et son ancrage réaliste, les rouages qu’il met en route. De plus, la série se base sur un livre-enquête du journaliste Fabrice Arfi, auteur de nombreuses enquêtes sur des affaires célèbres. C’est à lui d’ailleurs que la série doit son très beau titre si parlant (et qui n’était pas le titre envisagé au départ). Xavier Giannoli se montre parfaitement à l’aise dans le format série en mêlant différentes temporalités, en ne ménageant jamais son rythme effréné et en mêlant le temps de l’enquête et celui de l’action.

Un rythme sans temps mort qui tient beaucoup aux personnages et aux acteurs qui les incarnent. Vincent Lindon apporte son calme et une certaine froideur au personnage de Simon Weynachter quand Ramzy Bedia offre à Fitouss son côté « chien fou », à l’aise dans l’escroquerie sans jamais défaillir. Au milieu d’eux évolue le personnage incarné par Niels Schneider qui paraît temporiser mais se révèle être la tempête qui se lève. Ils viennent chacun apporter une pierre à l’édifice de cette « histoire de fous » qui va aussi vite que les milliards engendrés par l’arnaque sur la TVA des quotas carbone. Giannoli se plait à filmer ses personnages comme inarrêtables et Weynachter comme impuissant. Incapacité d’action renforcée dans sa relation téléphonique avec sa fille qui s’enfonce dans la dépendance et qu’il ne peut aider (ne sachant ni la localiser ni offrir son aide à quelqu’un qui la refuse). La droiture qui lui permet de s’intéresser à cette affaire jusqu’à l’obsession est celle-là même qui l’empêche d’agir dans sa vie privée, où il se montre trop rigide. Même si cette partie semble un peu « facile », et surtout à côté de la plaque par rapport à l’intrigue principale, elle a le mérite de donner de l’épaisseur au personnage d’enquêteur tenace. D’argent et de sang joue beaucoup des images (vidéo surveillance, photographies des enquêteurs, réseaux sociaux ) et du contraste avec les preuves qui n’existent pas (disparition des protagonistes de l’arnaque, sociétés écrans, TVA versée sans vérification, lenteurs administratives…).

Dans D’argent et de sang, la réalité imprègne la fiction et inversement. La série est tournée comme une grande partie de poker, en état de bluff permanent. La tension du jeu est partout dans l’excitation des personnages comme dans la frustration des enquêteurs.  Le spectateur est donc sans cesse dérouté par ce qui est montré. Pour le moment, ce rythme convient aux quatre premiers épisodes pour une saison (nommée comme partie 1) qui en compte douze. A voir si cela tient sur la durée. Xavier Giannoli nous propose le meilleurs de ses fictions cinéma (L’Apparition, Illusions perdues) en racontant ce besoin viscéral de croire en quelque chose, d’être porté dans une dynamique où la croyance engendre (aussi) le mensonge : « c’est souvent un déclencheur pour moi : un fait divers incroyable, au sens propre, auquel je tente de donner corps… pour qu’on y croie ! » (voir l’interview de Télérama en février 2023). Ici, si le rythme claque, les arnaqueurs sont filmés pour ce qu’ils sont : des fabriques à mensonges empêtrés, dans leur monde faux et qui sonne creux, où la trahison est la pire crainte. On les voit ne pas savoir quoi faire de l’argent qu’ils brassent et surtout se perdre en chemin. Il n’y a pas de fascination pour ces personnages, juste la volonté de les raconter dans toute leur complexité, c’est en cela que le réalisateur se démarque du temps médiatique. Et de monter aussi comment ils parviennent avec une très grande efficacité, sans beaucoup de complexité, à détourner un système où l’argent versé repose sur des fictions : vendre des quotas carbone, soit des « droits à polluer » pour pousser à polluer moins, verser de la TVA sur ces quotas quasi instantanément, argent versé par l’Etat sans aucune vérification certaine de la destination de l’argent… une indécence qui infiltre tous les rouages de la série, une quête de la vérité qui imprègne toute l’œuvre d’un réalisateur passionnant !

Bande annonce : D’argent et de sang

Fiche technique : D’argent et de sang

Synopsis : L’arnaque du siècle, survenue en France et en Europe entre 2008 et 2009. Des milliards partis en fumée sur le nouveau marché financier des « quotas carbone » inventé pour lutter contre le réchauffement climatique. L’association d’escrocs de Belleville avec un trader des beaux quartiers, traqués par un enquêteur obsessionnel. Quand les passions humaines se déchaînent au-delà du simple intérêt.

Réalisation : Xavier Giannoli, Frédéric Planchon
Scénario : Xavier Giannoli, Jean-Baptiste Delafon
Interprètes : Ramzy Bedia, Vincent Lindon, Niels Schneider, Judith Chemla, David Alaya,  Victoire Du Bois, Yvan Attal, André Marcon, Matias Jacquin
Production : Curiosa Films
Durée : 12 épisodes de 52 minutes
Diffusée à partir du 16 octobre 2023 sur Canal Plus

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