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Liste de confinement #3 : Le Dernier des hommes, Jackie, Embrasse-moi, idiot!…

Pendant cette période de confinement, la rédaction du Magduciné vous conseille une petite liste de films à (re)voir. Allant du magnétique Jackie de Pablo Larraín à la comédie Embrasse-moi, idiot ! de Billy Wilder, ou du mythique Ghost in The Shell de Mamoru Oshii jusqu’au sublime Le Dernier des hommes de Friedrich-Wilhelm Murnau, vous avez de quoi faire.

 

Downton Abbey de Michael Engler

C’est l’effervescence à Downton Abbey depuis que Lord Grantham a reçu une lettre en provenance du Palais de Buckingham. Le roi, en déplacement dans le Nord de l’Angleterre, va passer une journée à Downton. Et le branle-bas qui en résulte va bouleverser tout le monde, aussi bien la famille Crawley que les serviteurs. Le film est, bien entendu, conçu avant tout pour les fans de la série, et tout est fait pour les contenter : l’ambiance feutrée, les punchlines de lady Violet, les histoires sentimentales, le retour de Carson, Barrow souriant et heureux, etc. Mais de plus, le film va se concentrer sur une reconstitution minutieuse du protocole royal, avec, à la clé, une confrontation entre l’équipe des serviteurs de Downton, et les serviteurs attitrés de la famille royale, qui débarquent là avec mépris, comme en terrain conquis. Comme dans la série, le film fait alterner des passages des moments émouvants avec d’autres plus réjouissants, avec toujours cet aspect romantique attaché, cette fois-ci, au personnage de Tom Branson. Pour ceux qui ne connaissent pas la série, le film est fait pour être compréhensible, même si la joie de retrouver la foule de personnages de Downton Abbey n’est, forcément, pas la même.

Hervé Aubert

Le Dernier des hommes de Friedrich Wilhelm Murnau

Le Dernier des hommes est une fable sur la dégradation sociale. Friedrich Wilhelm Murnau y conte l’histoire d’un portier vieillissant, en poste dans le majestueux Grand Hôtel Atlantic. Son élégant costume s’appréhende comme un double marqueur identitaire : il suscite le respect de tous et l’autosatisfaction du portier. Le contrecoup en est évident : une fois remisé au placard, il sonne le glas d’une existence jusque-là bien rangée. Accusé de « sénilité », rétrogradé aux toilettes, l’ancien portier va profondément accuser le coup : c’est un peu comme si Murnau liait sa condition physique et mentale à son statut social. Les plans serrés sur un visage déconfit, les vues brouillées en vision subjective ou les montages de regards moqueurs constituent autant d’éléments attestant d’une déchéance inacceptable. Sans dialogue et quasi sans texte, le réalisateur allemand se livre à une étude minutieuse de la position sociale d’un individu et de la manière dont elle interagit avec sa psyché et son environnement. Dans un long métrage où la parole est laissée aux images, un visage anxieux masqué par des portes battantes suffit à condamner un homme. Ce n’est pas la moindre des astuces de Murnau.

Jonathan Fanara

Policier, adjectif de Corneliu Porumboiu

Policier, adjectif de Corneliu Porumboiu est un film malin, très lent mais pas ennuyeux. Composé en majorité de longues scènes de filature, il réussit à garder l’intérêt du spectateur malgré tout, et se termine en apothéose dans une très longue scène de questionnements linguistiques et moraux. L’intérêt du film est dans cela qu’il arrive à interroger sur la place de la morale au sein de la police, et démontre le paradoxe inhérent au système judiciaire : bien que nécessaires, certaines lois deviennent caduques. Et comment sommes-nous censés réagir ? Le réalisateur nous pose la question…

Flora Sarrey

Jackie de Pablo Larrain 

Derrière le portrait glamour de Madame Kennedy, le réalisateur chilien pénètre dans la mémoire d’une femme fragile pour qui le temps s’est brusquement arrêté le 22 novembre 1963. Le film est construit autour de l’entretien poignant entre Jackie et le célèbre journaliste politique Theodore H. White de l’hebdomadaire « Life », venu l’interroger au sujet du drame survenu quelques jours auparavant : l’assassinat du trente-cinquième président des États-Unis à Dallas. La froideur est immédiatement palpable dans le décor vide et inerte de la somptueuse propriété du Massachusetts. Le temps et l’espace sont éclatés, faits de fragments de souvenirs ; ils reflètent la détresse et la solitude de la Première Dame au célèbre tailleur rose. Plutôt que d’iconiser son personnage brillamment incarné par Natalie Portman, Larraín suggère les tromperies, les désillusions, les doutes, puis donne à voir, entre émotion et calcul, le violent traumatisme de cette veuve destituée, victime d’une tragédie, abandonnée au beau milieu d’un royaume qui a perdu tout son éclat.

Immergé dans le douloureux récit de Jackie, le spectateur examine chaque faille, chaque cicatrice se reflétant comme dans un miroir, notamment lorsqu’elle essuie péniblement son visage couvert de sang dans l’avion la ramenant à la Maison Blanche. Comme le suggère l’interview, cet « anti-biopic » fabriqué par l’enchevêtrement des flashbacks est constamment hanté par la question de la mise en scène. En effet, l’élégante First Lady, qui en vérité trouve refuge dans l’alcool et le tabac, doit faire bonne figure ; elle dissimule son chagrin derrière une façade, celle du paraître et de la sophistication à la mode Chanel. Sa silhouette mince et brune s’efface peu à peu derrière le spectre omniprésent de son époux. Cadrages soignés et musique lancinante renforcent le voyage émotionnel de Jackie et produisent une atmosphère pesante qui conduit au vertige jusqu’au tir fatal atteignant John. Larraín brosse ici le portrait sensible d’une icône américaine rongée par l’amour et l’orgueil, symbole d’une époque et du rêve de toute une génération.

Sevan Lesaffre

Embrasse-moi, idiot ! de Billy Wilder

Les plus grandes comédies se jouent souvent à la frontière avec le drame. Billy Wilder l’avait bien compris, lui qui savait parfaitement équilibrer humour et émotion. C’est le cas aussi dans ce film. Dino (Dean Martin, formidablement auto-parodique) est coincé dans un petit patelin perdu en plein désert. Il logera chez un professeur de piano, Orville Spooner, personnage maladivement jaloux dont la femme est une admiratrice inconditionnelle du crooner. Va alors se mettre en place toute une manigance dont le but est de vendre à Dino quelques chansons. Pour cela, Spooner va engager une call girl, Polly, et la faire passer pour sa femme peu farouche…

La situation est un peu lente à se mettre en place, et c’est bien le seul reproche que l’on pourrait faire à ce film. Wilder sait parfaitement instaurer des scènes absolument hilarantes, dans lesquelles le casting se donne à fond, mais sait aussi se concentrer sur le personnage de Polly, la femme habituée à être l’objet de plaisir des hommes et qui, pour une soirée, découvre la vie de famille dont elle rêve tant. Interprétée par une Kim Novak extraordinaire, Polly rejoint ces grands personnages féminins qui peuplent le cinéma de Wilder, aux côtés de la Marilyn Monroe de Sept ans de réflexion, la Marlene Dietrich de Témoin à charge ou la Shirley McLaine de La Garçonnière.

Hervé Aubert 

Piège à minuit de David Miller 

Sir Rex Harrison tend un piège à Doris Day dans cet élégant polar de la grande époque hollywoodienne signé David Miller. Ascenseur infernal, appels téléphoniques menaçants, rideaux frissonnants, nuit noire et brouillard bleuté… Après L’Homme qui en savait trop, Day, dont l’éclatante blondeur se dilue dans la brume épaisse du fog londonien, s’impose comme la pièce maîtresse de cette mise en scène hitchcockienne évoquant bien entendu Le Crime était presque parfait, chef-d’œuvre du maître du suspense sorti en 1954. Prouvant une fois encore son talent pour le thriller psychologique — Grace Kelly n’a qu’à bien se tenir —, la girl next door issue des studios Warner donne d’ailleurs la réplique au séduisant John Gavin, amant de Janet Leigh alias Marion Crane dans l’incontournable Psychose. Ici, pas de manoir lugubre perché sur une colline ni de motel désert, mais un somptueux appartement plongé dans la pénombre, étrange lieu clos dont les multiples fenêtres conduiront à un inéluctable vertige. Contreplongées, inserts et autres cadrages sophistiqués produisent tour à tour angoisse et hystérie diffuses. S’il n’est pas question pour Miller de rivaliser avec le savoir-faire unique d’Hitchcock en matière de climax, les cris affolés de Mrs. Preston, terrorisée par une voix mystérieuse qui la menace de mort, et les absences répétées de son époux, puissant homme d’affaires, parviennent à nous tenir en haleine jusqu’au dénouement. Que Sera, Sera… Un classique du genre.

Sevan Lesaffre

Ghost in the Shell de Mamoru Oshii

Revoir Ghost in the Shell en 2020, qui plus est en plein confinement, garantit toujours autant de résonances avec nos sociétés modernes et la crise existentielle qu’elle traverse, l’impossible repli sur soi malgré une solitude d’autant plus dévorante qu’elle n’est pas physique (quoique), mais métaphysique (surtout). Major, l’héroïne de l’histoire, traque une intelligence artificielle (nommée Puppet Master) qui aurait « pris vie », autrement dit, qui se serait totalement désolidarisée de ses programmes et pourrait se déplacer librement dans le « monde » des informations numériques, pour pirater n’importe quel système dans le cadre de manipulations politiques ou économiques. Elle-même fruit de la manipulation technologique et génétique, Major, mi-humaine mi-cybernétique, est plongée dans une crise existentielle profonde qui la pousse à se demander si elle possède réellement une âme, si elle est réellement « en vie », après tout. En 1h20, Mamoru Oshii livre un film d’animation néo-noir absolument fascinant, et parfois bouleversant par ses longs silences contemplatifs, ses réflexions si simples (qui suis-je ?) et pourtant si vertigineuses (un cyborg peut-il avoir une conscience d’égale valeur à celle d’un être humain ?). Un des plus beaux films traitant de la conscience, de ce que c’est qu’être « humain », dans une ville à l’architecture tentaculaire et à la pluie battante, rappelant à bien des égards un autre chef-d’œuvre du genre, Blade Runner, dont ce Ghost in the Shell prolonge et rediscute les inépuisables thématiques philosophiques.

Jules Chambry