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O Corno, une histoire de femmes : l’instinct sororal

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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Telle une araignée qui tisse une toile autour de femmes qui voient leur destin se croiser, Jaione Camborda démontre une étonnante capacité à capturer « les vérités » du corps féminin. Dans la même approche onirique du désir aperçue dans Arima, son premier long-métrage, la cinéaste espagnole revient, sans jugement, nourrir une tendresse suffisamment rare et élégante pour qu’on tombe sous son charme. Célébré au festival de Saint-Sébastien, O Corno se propose de conter une ode à la solidarité féminine et à la renaissance de la maternité.

Synopsis : 1971, Espagne franquiste. Dans la campagne galicienne, María assiste les femmes qui accouchent et plus occasionnellement celles qui ne veulent pas avoir d’enfant. Après avoir tenté d’aider une jeune femme, elle est contrainte de fuir le pays en laissant tout derrière elle. Au cours de son périlleux voyage au Portugal, María rencontre la solidarité féminine et se rend compte qu’elle n’est pas seule et qu’elle pourrait enfin retrouver sa liberté…

L’ergot de seigle (appelé « O Corno » par les Galiciens) est un champignon vénéneux bien connu pour les intoxications mortelles de la céréale au Moyen-Âge. Depuis, les sage-femmes sont parvenues à en tirer des bienfaits thérapeutiques afin de favoriser les contractions utérines lors d’accouchements… et d’avortements. Sachant les ressources limitées en campagne, ainsi que la menace planante du régime franquiste qui réduit les femmes à leur utilité biologique et qui les prive d’indépendance financière, Jaione Camborda choisit de montrer comment la plupart d’entre elles sont parvenues à briser leurs chaînes.

« Fragilité, ton nom est femme »

Dans une intensité qui reflète toute la sincérité du long-métrage, l’histoire démarre par un accouchement à domicile qui tourne à l’épreuve. La caméra de la cinéaste espagnole ne lâche pas cette femme souffrant de ses contractions et sa sage-femme de fortune, María. Cette dernière fait en sorte de ne pas laisser son amie hors du cadre et dans la détresse, car c’est dans un esprit de confiance et de communion sororale que l’enfant pourra naître. C’est évidemment tout ce que l’héroïne incarnée par Janet Novás renvoie. Danseuse de profession, elle est en contrôle total de son corps. La photographie de Rui Poças lui offre ainsi le relief nécessaire pour que ses gestes et sa peau fusionnent avec des teintes terreuses. María est plus que jamais en connexion avec la nature qui l’entoure, comme pour légitimer sa liberté, durement acquise, et qu’elle va devoir récupérer.

Lorsqu’une jeune femme vient la solliciter pour ses compétences cachées de « faiseuse d’anges », il est immédiatement question de préserver l’épanouissement d’une jeunesse et d’un avenir. C’est tout l’enjeu de la première partie que de révéler le malaise social qui restreint les choix de vie de ces femmes, coupées en deux pour le spectacle d’hommes qui ne sont ni des génies ni des magiciens. Juste des hommes. Ceux-ci n’ont pas besoin de se mettre en danger pour étouffer dans l’œuf cette maladie qui ne touche que les femmes (L’Événement). Cependant, les choses dérapent fatalement pour María, ainsi poussée à la clandestinité. L’intrigue prend alors un malin plaisir à convoquer les tropes du road-movie, avec l’île d’Arousa comme point de départ et point de non-retour.

De mère en fille…

En renonçant à son confort, ses habitudes et à ses amies, María se lance en direction du Portugal pour y trouver asile. Son voyage à travers la Galice, évidemment semé d’embûches, n’ampute rien à la tendresse et à la force de ce personnage. La cinéaste l’accompagne ainsi dans son intimité et dans une exploration d’une maternité retrouvée. À l’inverse, d’autres mettent en avant la solidarité féminine au service de l’avortement, comme dans la chronique moderne Never Rarely Sometimes Always, où deux jeunes américaines affrontaient la masculinité fiévreuse et ambiante de New-York. Le drame espagnol concentre pourtant toute son attention sur cette femme, mûre d’esprit et d’expérience. Sa cicatrice en bas de son ventre témoigne d’un parcours initiatique qui a commencé depuis très longtemps. Et ce qui est remarquable dans cette approche de la féminité, c’est que l’on rencontre des femmes de toutes les générations. María, qui a vécu tant de choses jusqu’à considérer sa féminité comme un fardeau, reflète pourtant l’état d’esprit de chacune d’entre elles. Ce portrait est chaleureux, un peu comme la protagoniste, plus séduisante que jamais lorsqu’elle diffuse sa générosité dans un environnement aussi hostile et peu conciliant.

Fraîchement inscrite dans la Constitution française, la liberté d’accès à l’IVG achève une longue lutte initiée par la Loi Veil (Annie colère). En Espagne, la protestation massive à Madrid en 2014 a vu un collectif de 80 cinéastes converger vers cette soif de liberté, transmise de mère en fille, donnant ainsi naissance au documentaire Yo decido. El tren de la libertad. Autant dire que ces événements font grandement échos aux problématiques rencontrées dans O Corno, une respectueuse fable sur des femmes libres de disposer de leur corps et de renouer avec une maternité trop longtemps réprimée.

Bande-annonce : O Corno, une histoire de femmes

Fiche technique : O Corno, une histoire de femmes

Réalisation et scénario : Jaione Camborda
Image : Rui Poças
Son : Sergio Silva
Montage : Cristobal Fernández
Musique : Camilo Sanabria
Étalonnage : Rita Lamas
Productrices : Jaione Camborda, Andrea Vázquez, María Zamora
Producteurs associés : Rodrigo Areias, Katleen Goossens
Production : Esnatu Zinema, Miramemira, Elastica Films, Bando à Parte, Bulletproof Cupid
Pays de production : Espagne, Portugal, Belgique
Distribution France : Epicentre Films
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 27 mars 2024

O Corno, une histoire de femmes : l’instinct sororal
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Responsable Cinéma