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Copyright Ravenser Odd | Scott Cohen | La Vie selon Ann

La vie selon Ann, de Joanna Arnow

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« Le sentiment que le temps de faire quelque chose d’important est passé » résumerait bien l’essence de La vie selon Ann. Et ça tombe bien, c’est la traduction française du titre original de La vie selon Ann (The feeling that the time for doing something has passed). Dans ce film, la réalisatrice Joanna Arnow nous transporte dans une autofiction où humour et situations réelles de la vie s’entremêlent pour donner naissance à un film satirique suivant une trentenaire d’aujourd’hui qui se cherche au travail, à la maison, au lit ou encore avec sa famille et ses amis. La vie selon Ann est un voyage immersif où les spectateurs sont invités à voir grandir l’héroïne dans tous les aspects de sa vie.

Synopsis : Ann, tren­te­naire new-yor­kaise, livre sa ver­sion décom­plexée de la sou­mis­sion. Les ren­contres avec ses par­te­naires, ain­si que ses rela­tions pro­fes­sion­nelles, fami­liales et ami­cales, deviennent alors un savou­reux ter­rain de jeu.

Le format choisi par Arnow pour narrer son récit peut surprendre, mais pas tant que ça. Il est sectionné en chapitres explorant respectivement une relation sentimentale qui a marqué notre héroïne, Ann, remarquablement bien jouée par Joanna Arnow elle-même. Elle seule pouvait d’ailleurs projeter, dans sa performance, les émotions qu’elle souhaitait faire ressortir de son personnage principal. Arnow a en outre confié que certains faits racontés dans le film ont été inspirés de situations réelles qu’elle a pu vivre. D’autre part, cette histoire narrée c’est aussi les situations actuelles de bon nombre de femmes trentenaires, quarantenaires, cinquantenaires…c’est le quotidien de beaucoup de personnes. Et quel meilleur moyen de raconter cette histoire sous forme de vignettes, comme des nouvelles ; car c’est ce qui façonne notre existence à tous : vivre des épisodes, qui, en se cumulant, forment une vie, notre vie. Joanna a choisi de mettre à nu (au propre comme au figuré) son personnage, nous montrer à cru qui est Ann, nous montrer quels sont ses désirs et ses rêves au travers de ses relations (amoureuses, familiales, professionnelles, amicales). Alors, qui est Ann ?

Ann est une jeune trentenaire de Brooklyn. Au niveau familial, elle est relativement proche de sa famille (elle participe aux dîners de famille chez ses parents – acteurs joués par les véritables parents de Joanna Arnow – , elle héberge sa grande sœur qui rencontre des problèmes dans son couple). Au niveau amical, elle a un cercle d’amis avec qui elle fait des sorties. Au niveau du travail, elle connaît une évolution professionnelle et s’attache même à des collègues (elle semble attristée par la démission de son assistant qui a trouvé mieux dans une autre boîte). Ann a donc une vie sociale relativement pleine et une vie professionnelle assez stimulante bien que sa personnalité, considérée comme fade, pourrait faire penser le contraire. Ann est très loin de vivre une vie ennuyeuse. Elle connaît des plaisirs dans sa vie : une promotion au travail, un cercle social… et une vie sexuelle pour le moins bien remplie.

Et c’est d’ailleurs ça qui constitue le cœur du film : la sexualité d’Ann, adepte du BDSM. Le film est parsemé de nudité, néanmoins on ne parle pas là de nudité crue, digne d’un film érotique. On ne montre pas vraiment d’actes sexuels désobligeants. On parle là d’une nudité qui se veut intimiste. On montre l’avant et l’après quand allongés sur le lit, sous les draps, les partenaires discutent de ce qui vient de se passer, de leurs fantasmes, de leurs envies, de leurs vies. On entre dans l’intimité d’Ann et sur ses relations imparfaites avec ses partenaires sexuels. On rencontre Allen, Thomas, Elliott et Chris. Chacun d’entre eux joue un rôle important dans le rapport qu’Ann a avec la soumission. Une soumission voulue, car c’est ça le fantasme et l’envie première d’Ann, qui arpente un site de rencontres BDSM pour trouver ses partenaires. Cette domination choisie et assumée par Ann trouble le spectateur mais à l’heure du me too, devrait-il vraiment perturber l’œil du public ? Nous avons à l’écran une femme qui se cherche, s’assume et accepte toutes les imperfections de ses relations : elle force sa relation avec Allen, plus âgé qu’elle, en « matchant » avec lui encore et encore, sur son appli de rencontres, pour une histoire sans lendemain, alors qu’il lui a plus d’une fois exprimé qu’il n’était pas intéressé par elle. Il ne se souvient même pas des discussions qu’il a pu avoir avec elle ; elle insiste pour maintenir avec Chris ce rapport de dominant/dominé alors que ce dernier n’est pas du tout intéressé par le BDSM mais par elle. Et il est d’ailleurs intéressant d’observer que dans ce fil conducteur de dominant/dominé, alors qu’on commençait le chapitre par Allen et cette affection à sens unique qu’Ann ressentait pour lui, et donc qui nous montrait Allen en dominant, on a une évolution du personnage d’Ann à la fin du film qui est dorénavant la dominante dans sa relation avec Chris. La complexité de ses relations nous mène à ce final qui est qu’Ann finit par dominer : dans sa relation amoureuse avec un homme (Chris) qui l’aime bien et qui souhaite vivre une simple, vraie et belle relation avec elle (sans BDSM) ; et dominance également dans son milieu professionnel avec ses nouvelles fonctions. Ann gagne en prestance et grandit devant nous.

Par contre, ce qui reste constant tout au long du film et qui mérite d’être noté, c’est l’humour du film car oui, La vie selon Ann est une comédie. Pour les chanceux qui ont connu le cultissime dessin animé Daria, Joanna Arnow nous sert Ann sur un plateau d’argent avec un humour de la même trempe. Ann sourit peu ou très peu. Elle peut mener des discussions grotesques, sans véritable fond. Elle a un humour pince-sans-rire qui est généralement suivi de silences gênants et elle sait utiliser le sarcasme à la perfection. Ce qui fait son charme, il faut se l’avouer. Ann n’est pas aussi marginale que Daria. Mais elle est aussi cynique qu’elle, et, comme Daria qui se rebellait contre les stéréotypes féminins, la rébellion d’Ann se porte, elle, sur les codes de l’intime. Ann aime le BDSM et l’assume, ce qui est non conventionnel et fait d’elle un personnage atypique pour ceux qui s’attachent à des codes plus traditionnels. Mais c’est justement là toute l’intelligence de ce film : sortir des sentiers battus et nous inviter à découvrir l’histoire authentique d’une jeune trentenaire à l’humour noir et qui est asociale sur les bords. Joanna Arnow contre dans sa narration la structure conventionnelle qui est généralement faite d’une histoire, en faveur d’une progression de notre héroïne dans toute sa complexité et son authenticité.

Enfin, si on revient au titre original du film The feeling that the time for doing something has passed que l’on traduirait par « Le sentiment que le temps de faire quelque chose d’important est passé », nous pouvons ainsi conclure que non, le temps de faire quelque chose d’important n’est pas passé. Ann vit, lentement aux yeux de certains, mais elle vit. Elle vit chaque jour ces moments importants, c’est ce qui la façonne. Elle vit une vie imparfaite qui, tout du long, lui a tout de même permis de rencontrer Chris, d’améliorer sa relation avec sa grande sœur ou encore d’avoir une situation professionnelle satisfaisante. On se développe avec le temps et sans cette lenteur parfois de la vie, on ne se construirait pas, on n’apprendrait pas à se connaître. Joanna Arnow a souhaité dans ce film explorer une structure multi-dimensionnelle qui résonnerait avec la manière dont on peut se questionner sur nous-mêmes et sur nos relations. C’est chose faite. En tout cas, en faisant cette introspection avec Ann, on comprend ainsi un peu mieux la vulnérabilité et la tendresse de ce personnage principal atypique mais charmante.

Bande annonce : La vie selon Ann

Fiche technique : La vie selon Ann

Titre original : The Feeling That the Time for Doing Something Has Passed

Réalisation et scénario : Joanna Arnow

Casting : Joanna Arnow (Ann), Scott Cohen (Allen), Babak Tafti (Chris), Alysia Reiner (La soeur), Barbara Weiserbs (La mère), David Arnow (Le père)

Musique : Robinson Senpauroca

Son : Maxwell Dipaolo, Matt Liebowitz, Edwin Diagon

Décors : Grace Sloan

Montage : Joanna Arnow

Réalisation et scénario : Joanna Arnow

Producteurs : Ravenser Odd, Graham Swon

Producteurs exécutifs : Sean Baker, Adam Mirels, Robbie  Mirels

Directeur de la photographie : Barton Cortright

Pays de production : Etats-Unis

Distribution France : PAN-Distribution

Durée : 1h28

Genre : Comédie

Date de sortie : 8 mai 2024

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4.5