Étymologiquement, le mot « apocalypse » signifie « dévoilement ». Le réalisateur Adam McKay l’a interprété littéralement, se saisissant de la menace classique du film catastrophe pour mieux exposer les tares monstrueuses de la société américaine actuelle. Solidement ancré dans la comédie, style qui révéla le cinéaste, ce jeu de massacre aussi drôle qu’écœurant est la rencontre improbable entre Armageddon et Idiocracy. Cette œuvre salutaire, suscitant régulièrement l’impression désagréable de réalité dépassant la fiction, pèche sans doute par son ambition déraisonnable. La terrible crise du sens qu’elle dénonce avec férocité renforce en revanche la pertinence du message. Un film qui nous fait simultanément rire et déprimer.
Sortir la veille de Noël une satire aussi féroce sur la société actuelle, impliquant la destruction pure et simple de notre planète : jusque dans sa date de sortie, Don’t Look Up : Déni cosmique n’a pas épargné le spectateur ! Car ne vous y trompez pas, le film a beau être une comédie non dénuée de nombreuses outrances, il dézingue impitoyablement les tendances actuelles polluant notre monde occidental – en particulier les États-Unis, dont il tend un miroir à peine déformant.
Jusqu’en 2015, le cinéaste Adam McKay évoluait exclusivement dans le genre de la comédie populaire, voire carrément potache (Anchorman, Frangins malgré eux, Very Bad Cops, etc.). The Big Short : Le Casse du siècle le vit entamer brillamment une mue vers un cinéma qui, sans renier son attrait pour le rire, devenait plus profond et subtil, car nourri de problématiques actuelles fort sérieuses. Après s’être intéressé à la crise financière de 2008 par la lorgnette absurde (mais néanmoins authentique) d’outsiders se lançant dans le pari de la spéculation immobilière à contre-sens, McKay s’est aventuré dans le domaine politique avec le remarqué Vice (2018), portrait acide et inquiétant de l’ancien vice-président des États-Unis, Dick Cheney (2001-2009). Don’t Look Up confirme aujourd’hui cette transition vers la comédie dramatique imprégnée d’une solide charge critique.
Conforté par le succès de ses deux œuvres précédentes, le cinéaste américain s’est attaqué à un portrait mordant de l’Amérique qui brasse particulièrement large. Le film raconte l’histoire de l’astronome Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et de son étudiante Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) qui, après avoir découvert une comète géante se dirigeant vers la Terre, tentent d’avertir le pouvoir politique de cette catastrophe. Devant l’apathie et la bêtise de la présidente Orlean, ils n’ont d’autre choix que de se tourner vers les médias afin de se faire entendre. C’est le début d’une aventure absurde et chaotique qui va rapidement les dépasser…
Adam McKay – qui a également écrit le film – a sorti l’artillerie lourde et arrose tous azimuts. Si la crise climatique constitue l’évidente prémisse du récit (une catastrophe annoncée que tous les puissants de ce monde préfèrent ignorer ou minimiser), elle a fourni le prétexte idéal à un règlement de comptes visant toutes les tares actuelles : monde politique arrogant et crétin ayant pour seul horizon l’électoralisme le plus abject, médias déconnectés de la réalité, réduction des problématiques les plus complexes à des slogans simplistes, toute-puissance des GAFAM, comportements moutonniers, esprits formatés par les réseaux sociaux, etc. Tout y passe, et McKay n’y va pas de main morte. Où que l’on regarde, les comportements humains ne sont que superficialité et stupéfiante vulgarité. Le cinéaste saisit ainsi, dans toute son horreur, un monde où la réalité la plus tangible est niée. Un monde de fake news et d’alternative facts, où les termes sont vidés de leur sens, l’Histoire réécrite, les faits manipulés, les esprits formatés. Bref, Don’t Look Up est le reflet immonde d’un Occident en pleine dégénérescence, et les éclats de rire – le film en ménage une multitude – possèdent toujours un puissant arrière-goût amer, voire malaisant, suscité par la familiarité de ce qui est dénoncé, la réalisation que le cauchemar absurde dans lequel évoluent les personnages n’a rien d’utopique.
L’œuvre est portée par un casting de stars qui s’en donnent à cœur joie, même si toutes les performances ne sont pas inoubliables (Jennifer Lawrence, Jonah Hill, Timothée Chalamet). Confirmant son statut d’acteur caméléon, Leonardo DiCaprio (impliqué à titre personnel dans la cause environnementale) interprète avec beaucoup de justesse, mais aussi de drôlerie, un homme banal doublé d’un scientifique angoissé qui se fait manger tout cru par le système. Meryl Streep, quant à elle, n’a plus rien à prouver mais parvient pourtant encore à nous surprendre dans un délicieux contre-emploi de présidente inculte, corrompue et grossière, caricature féminine évidente de l’avant-dernier président américain. Mention spéciale également à la ravissante Cate Blanchett, parfaite dans le rôle d’une présentatrice télé possédant absolument tous les défauts d’une star du petit écran. Enfin, le comédien britannique Mark Rylance campe avec gourmandise un de ces gourous/CEO des nouvelles technologies, moitié capitaliste, moitié transhumaniste, et 100% fêlé du ciboulot.
Don’t Look Up assume pleinement la noirceur de son humour, osant les références explicites à la réalité (on pourrait citer une douzaine d’exemples, le plus évident étant le trumpisme, même si – il faut le souligner – McKay dégomme généreusement à gauche comme à droite du spectre politique), proposant même une conclusion à la tonalité soudain très sombre et solennelle, un cataclysme assimilé à la purge définitive d’une humanité indigne.
En dépit de ses innombrables vertus, Don’t Look Up : Déni cosmique finit pourtant par s’essouffler, guère aidé par une durée avoisinant les 2h30 de métrage. Porté par une inspiration intarissable (on le comprend, il y en a des choses à moquer, en ce bas-monde !), Adam McKay donne l’impression d’un surdoué qui fatigue son assistance. Le film contient trop de tout : trop d’idées, trop de personnages, trop de dialogues, trop de répliques drôles, rendant sa digestion par moments pénible (il faut avoir l’esprit particulièrement vif pour saisir toutes les références). En outre, le cinéaste adopte – à dessein – certaines tares que son film dénonce, par exemple la vulgarité des répliques, les effets criards ou le montage frénétique de Hank Corwin, ce qui non seulement renforce l’impression de trop-plein, mais suscite aussi une gêne par rapport au message que véhicule le film. Il n’empêche qu’on salue le jusqu’au-boutisme de cette œuvre qui se vit comme un électrochoc salutaire. La prochaine fois, espérons simplement qu’Adam McKay opte pour une attaque ciblée au lieu d’une offensive sur tous les fronts.
Synopsis : Persuadés qu’une comète s’apprête à détruire la Terre, deux astronomes peu crédibles aux yeux de la population se lancent dans une tournée médiatique pour prévenir l’humanité de la fin du monde.
Don’t Look Up : Déni cosmique : Bande-annonce
Don’t Look Up : Déni cosmique : Fiche technique
Titre original : Don’t Look Up
Réalisateur : Adam McKay
Scénario : Adam McKay
Interprétation : Leonardo DiCaprio (Dr. Randall Mindy), Jennifer Lawrence (Kate Dibiasky), Rob Morgan (Dr. Clayton Oglethorpe), Meryl Streep (Présidente Janie Orlean), Jonah Hill (Jason Orlean), Cate Blanchett (Brie Evantee), Mark Rylance (Peter Isherwell), Tyler Perry (Jack Bremmer), Timothée Chalamet (Yule), Melanie Lynskey (June Mindy), Ron Perlman (Benedict Drask)
Photographie : Linus Sandgren
Montage : Hank Corwin
Musique : Nicholas Britell
Producteurs : Adam McKay et Kevin Messick
Société de production : Hyperobject Industries
Durée : 138 min.
Genre : Comédie/Science-fiction
Date de sortie : 24 décembre 2021 (Netflix)
États-Unis – 2021