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Brighton 4th : un voyage de retour

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Certains points d’arrivée correspondent à un point de départ. Levan Koguashvili évoque ainsi le quartier de Brooklyn, spécifiquement sur Brighton 4th, où les immigrés géorgiens se réunissent.

Quand il n’y a plus d’espoirs, c’est sur la famille qu’il convient de parier. Levan Koguashvili (Street Days, Blind Dates) croit en la rédemption de ses personnages, tandis que James Gray a traversé Little Odessa (l’autre nom de Brighton Beach) avec de plus sombres intentions. De confession juive ou orthodoxe, ce lieu emblématique entre Manhattan Beach et Coney Island abrite essentiellement tout le post-union soviétique en Amérique. Le cinéaste nous emmène alors au plus proche des habitants, qui titubent pour la majorité vers un fossé dans lequel ils auront du mal à s’extirper.

Pot de départ

Un match de football à la télé et tout un troupeau de parieurs angoissés à l’idée de perdre leur mise, c’est ainsi que le récit démarre. La tension est palpable, du moins pour l’un d’entre eux, dont l’enjeu ne rime pas nécessairement avec le divertissement proposé. Cette petite amorce en Géorgie trouvera son écho du côté de New York, où Soso (Giorgi Tabidze) serait la résultante de cette prise de risque. Endetté auprès d’un mafieux local, Soso ne peut que s’en remettre à son père Kakhi, qui a quitté sa femme et son chien pour le rejoindre.

Il s’agit autant d’un portrait de la vie à Brighton Beach, l’îlot soviétique où les expatriés s’y retrouvent pour chanter leur joie et leur chagrin, que d’une chronique père-fils tout à fait charmante. Koguashvili trouve d’ailleurs ses marques dans ce qu’il sait faire de mieux, rendre ses personnages plus vivants que jamais, à l’image de Sergo (Kakhi Kavsadze), dit le rossignol, la voix de la sagesse. Cette démarche se poursuit jusqu’au bout de la réussite, où les comédiens non professionnels nous délivrent une partie de leur intimité et donc de leur culture, celle du partage. C’est utopique, mais chacun y croit à sa manière, alors qu’il semble impossible pour ces gens de sortir du quartier, à la conquête de l’Amérique, la vraie.

Ces derniers vivent dans un passé dont les liens doivent être tranchés pour progresser, mais ce que raconte le cinéaste est avant tout la culture familiale et l’abnégation. Le pays est au second plan, tout comme Soso, qui réussit malgré tout à gonfler le pot de départ qu’il s’était lui-même imposé, en misant sur une main qu’il ne peut tendre vers son paternel.

À corps perdu

C’est là que le personnage de Kakhi entre en scène, un peu ramolli par le temps et le cadre automnal, voire hivernal, qui s’abat sur Little Odessa. Sa bienveillance à toute épreuve le conduit à s’occuper de personnes bien plus âgées que lui ou à déménager quelques fournitures. La demande est très physique, mais tout n’est plus aussi simple pour l’ex-champion de lutte qu’il était. Il incarne la force de la raison et Levan Tedaishvili le démontre merveilleusement dans le rôle d’un père luttant corps et âme afin de secourir son fils. Cette générosité lui va comme un gant et à travers ce personnage, on nous montre à de nombreuses reprises que les rapports hiérarchiques sont obsolètes. Il suffit de constater le traitement accordé par le patron qui exploite ses employés pour s’en assurer.

On discute de vie et de mort, car tout le monde marche dans cette même réflexion, sans forcément l’entendre. Il ne semble pas y avoir d’horizon possible. On n’échappe pas aux caprices de Brighton Beach, en contractant le rêve américain et la quête de la survie. Les seniors y restent pour mourir et certains tentent désespérément de fuir, par le mariage ou un tout autre moyen d’obtenir la carte verte, pour pleinement profiter de la citoyenneté américaine. Ce refus de changer d’identité est justifié dans les moments de grâce que nous offrent les scènes de groupe. Que l’on soit d’un bord ou d’un autre, le fait est que tout le monde parle la même langue pour se retrouver un peu chez soi.

Pas toujours séduisant dans la construction du portrait qu’on y fait du quartier, Koguashvili préfère sauver les habitants plutôt que les meubles. Avec l’humour à sa portée et une troupe chaleureusement accueillante, le réalisateur se projette un peu aux côtés de ses personnages et c’est ce qui les rend particulièrement attachants. Son bref passage en compétition de Reims Polar ne lui rend cependant pas honneur, sachant que Brighton 4th préfère le chant du « rossignol » au climat policier.

Bande-annonce : Brighton 4th

Fiche technique : Brighton 4th

Réalisation : Levan Koguashvili
Scénario : Boris Frumin, Levan Koguashvili
Photographie : Phedon Papamichael
Son : Beso Kacharava
Décors : Kote Japaridze
Costumes : Eka Bichinashvili, Tinatin Kvinikadze
Montage : Sasha Frumin, Davit Kiknadze, Elene Asatiani, Nikolay Metin
Production : Kino Iberica, Moskvich Films, TatoFilm​
Pays de production : Géorgie, Russie, Bulgarie, Monaco, États-Unis
Distribution France : ARP Sélection
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 12 avril 2023

Synopsis : Un ancien champion de lutte géorgien part à Brighton 4th, New York, pour tenter d’aider son fils qui accumule les dettes de jeu.

Brighton 4th : un voyage de retour
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