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Amel et les fauves : le dédale de Tunis

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

La Tunisie appartient plus que jamais à la jeunesse. Amel et les fauves en dépeint le souffle de liberté qui en découle, mais également ses contradictions en croisant intimement les regards de deux générations qui s’éloignent de plus en plus.

Mehdi Hmili revient sur des traumatismes qu’il souhaite exorciser, histoire de les confronter une dernière fois avant de tourner la page selon ses dires. Son passé comme footballeur professionnel ou ses déboires avec la rue, le cinéaste projette tout le drame de sa famille dans ce film. Après avoir brossé le portrait d’une jeunesse amoureuse en pleine révolution (Avanti, Thala mon amour), le cinéaste s’attaque aux conséquences de la libération du peuple tunisien, notamment à travers une jeunesse qui ne recule devant rien pour s’évader à tout prix.

Violence et corruption

L’ouverture est toute en légèreté, entre les rires et une étreinte familiale. La symbiose parfaite entre la mère et son fils va de plus en plus se dissoudre par la lâcheté des hommes matures qui les entourent. Que ce soit un père paumé dans le succès qu’il n’aura jamais, un patron un peu trop collant ou d’autres agents d’un système corrompu, chacun a sa part de responsabilité et tente malgré tout de s’extirper de cette nouvelle machine de violence, encore enraciné dans la révolution du jasmin.

Capitaine et gardien de but dans une équipe locale de football, Moumen (Iheb Bouyahia) rêve de progresser dans le milieu sportif, une utopie qui le lie fatalement à l’errance de son père. Il rêve d’un ailleurs qu’il ne pourra cependant pas obtenir suite à l’arrestation de sa mère, Amel (Afef Ben Mahmoud), condamnée pour un adultère qu’elle a effleuré sans consentement. C’est tout le réseau familial qui éclate alors, avant d’éparpiller chaque membre aux quatre coins de Tunis, une cité toxique que l’on découvrira dans le monde de la nuit.

Mère sacrée, fils désabusé

Quand Moumen se voit arracher son unique boussole, son dernier espoir de rebondir disparaît avec sa présence. Il erre dans les boyaux d’une banlieue malfamée, où le fait d’épouser la criminalité, les drogues dures et autres débauches sexuelles pourraient le libérer du nouveau carcan de la jeunesse tunisienne. Il se laisse ainsi dépérir, s’offrant à la passion autodestructrice de son entourage, junkie et travesti.

Ce portrait nous est d’ailleurs amené avec une authenticité que les caméras occidentales pourraient bien esquiver dans la représentation des habitants.  Il s’agit pour Hmili de filmer des spectres dans l’obscurité, sans que la légèreté ne vienne interférer avec la réalité. On peut aussi bien vivre joyeusement dans un bordel que dans un cabaret de luxe. Le besoin de l’autre est à nuancer avec le désir de l’autre. Moumen tente de reconstituer une cellule familiale, avec le peu d’expériences qu’il possède et le peu d’argent en poche qu’il possède et qu’il dépense pour enterrer son avenir. Le récit emprunte ainsi deux sentiers, le premier traversé par un enfant désorienté et le second par une mère aimante.

Cependant, Amel arrive toujours après la guerre ou un acte de rébellion de trop qui va enfermer Moumen dans une spirale de déni et de fuite sans destination. Ce jeu de miroirs est justifié par un cran de retard ou encore un décalage radical avec la dernière génération, plus libérée et qui souhaite prendre sa vie en main et par tous les moyens. Amel et les fauves en est le testament et saisit l’opportunité de contrer la censure, par la force de ses images poétiques et de son discours engagé. Mais ce qui prime par-dessus tout, c’est cette fameuse lettre d’amour d’une mère à son fils, une sensation qui ne trompe pas et qui relève dans le même temps tous les maux d’une société sans doute archaïque, sinon cynique.

Bande-annonce : Amel et les fauves

Fiche technique : Amel et les fauves

Titre original : Streams
Réalisation & Scénario : Mehdi Hmili
Photographie : Ikbal Arafa
Son : Aymen Labidi
Montage son : Nicolas Leroy
Montage : Ghalya Lacroix
Musique : Amine Bouhafa
Production : Yol Film House
Pays de production : Tunisie, France, Luxembourg
Distribution France : La Vingt-Cinquième Heure Distribution
Durée : 2h
Genre : Drame
Date de sortie : 26 avril 2023

Synopsis : Amel est ouvrière dans une usine à Tunis. Son patron la met en relation avec un homme d’affaires qui peut permettre à son fils d’intégrer le club de foot local. Profitant de la situation, l’homme tente d’abuser d’elle. La police les surprend mais c’est Amel qui est finalement déclarée coupable d’attentat à la pudeur et d’adultère. À sa sortie de prison, elle part à la recherche de son fils dans les nuits underground de Tunis, peuplées de prédateurs et d’une jeunesse en quête de liberté.

Amel et les fauves : le dédale de Tunis
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