Christophe Bec, Giles Daoust et Stefano Raffaele publient aux éditions Soleil le second et dernier tome du diptyque Spider. Une nouvelle drogue y fait des ravages à Detroit et contribue à modifier le génome humain.
Il est difficile de ne pas déceler une certaine influence de David Cronenberg dans Spider. Comme le rappelait récemment Fabien Demangeot dans un essai lui étant consacré, le cinéaste canadien a fait du body horror et des transgressions techno-organiques si pas une spécialité, au moins un motif de cinéma récurrent. « Wonderland », second tome d’un diptyque glauque et horrifique, se délecte à montrer des transformations physiques graduelles et/ou radicales à l’image de celle vécue par Seth Brundle dans le film La Mouche. L’album raconte l’infiltration d’une policière dans une obscure organisation criminelle, dont les produits provoquent des mutations de l’ADN. « La Toile organise la distribution de la Spider, et Anansi est son leader. »
La Spider, c’est une substance synthétique directement injectée dans une araignée que des toxicomanes avalent vivante. Si cette vision peut paraître rebutante, voire cauchemardesque, ce n’est pourtant rien en comparaison des effets mutagènes que cette drogue induit sur ses consommateurs : l’irruption de poils épais et probablement urticants, puis des hybridations diverses telles que l’apparition de paires d’yeux supplémentaires ou la déformation du visage ou des membres. « Anansi », le leader de la « Toile », travaillait en Afrique sur le sida avec une équipe de biochimistes quand il a découvert un rite d’initiation local à base d’arachnine. C’est cette coutume, qu’on découvre en début d’album en Éthiopie, qui va servir de base à la Spider, désormais produite en quantité industrielle et soumise aux recherches d’un savant fou nommé Tsuchigumo.
L’infiltration de l’agent Charlie Dubowski à l’intérieur de la « Toile » se fait par l’intermédiaire d’Arachné, cadre de l’organisation criminelle et nouvelle maîtresse de la policière. La gestion de leur relation et l’initiation hâtive de Dubowski figurent parmi les points faibles de l’album, au même titre que certaines cases mineures assez grossièrement dessinées. Ce dernier point ne doit toutefois pas occulter l’honorable travail graphique réalisé par Stefano Raffaele. Celui qu’on a notamment connu chez Marvel Italia réussit en effet à porter l’effroi quand il le désire, à effectuer des variations d’échelle pertinentes et à insuffler, grâce à ses conceptions chromatiques, des atmosphères qu’on imagine minutieusement sous-pesées (lors de l’incendie dans une usine désaffectée ou de la rencontre entre Charlie et Arachné, notamment).
Malgré une noirceur quasi inexpiable, quelques traits d’humour viennent aérer l’album. L’agent Brandt, à qui l’on fait remarquer que les services d’un jardinier ne seraient pas superflus pour s’occuper de son extérieur, rétorque, amusé : « Le dernier que j’ai fait venir s’est fait sauter la cervelle. » Plus loin, la rupture de ton est consommée, lorsque son capitaine assènera d’un cynisme glacial, à propos de Dubowski : « Un policier qui meurt en service prouve son utilité pour la société. » Les services de l’ordre n’ont apparemment que l’insensibilité et l’opportunisme à porter à leur crédit, puisque Brandt se voit promu sans même en avoir été averti, après une brève allocution de son supérieur devant les médias. Quant à la drogue, qu’elle constitue une réponse au désespoir du peuple ou un moyen de distraction pour les riches, elle est caractérisée dans « Wonderland » de manière paroxystique. Elle ne transforme plus seulement le comportement et l’état de conscience de quelques toxicomanes, mais aussi l’ADN et l’apparence physique des consommateurs occasionnels.
Spider – Tome 2 : Wonderland, Christophe Bec, Giles Daoust, Stefano Raffaele
Soleil, février 2021, 48 pages