Jean-Pierre Pécau et Igor Kordey nous transportent à travers l’espace-temps dans le premier tome de la série Môbius. La mort n’est plus qu’une étape transitoire : elle permet de réinitialiser l’existence des hommes en les catapultant dans de nouveaux mondes sans qu’ils soient en mesure de se remémorer leur existence passée. À quelques exceptions près.
« La physique quantique a établi la présence d’une infinité de mondes dans des dimensions parallèles à la terre. On appelle ça le multivers. Mais elle n’a jamais pu trouver le moyen de s’y rendre… » Là est l’argument principal de Môbius : il y existe simultanément une pluralité de réalités dont les différences sont d’autant plus grandes qu’elles apparaissent éloignées les unes des autres. Munis d’une bague de transfert prévue à cet effet, les personnages de Jean-Pierre Pécau et Igor Kordey ont la faculté de voyager à travers l’espace-temps et d’explorer n’importe quelle strate du multivers. Des sauts spatiotemporels qui peuvent les mener dans un monde réduit à son étiage ou, en cas d’erreur, droit dans la gueule d’un loup-garou affamé.
Cette première caractéristique, à rapprocher (en schématisant) d’une saga telle que Retour vers le futur, se greffe à la mythologie du peuple élu. Dans Môbius, les gitans ont en effet une connaissance fine des articulations du monde. Les peuples du vent entretiennent des relations anciennes et étroites avec le Mont, une entité encore obscure apparemment douée d’un pouvoir de régulation sur le multivers. Car c’est bien le Mont qui recrute Berg pour traquer « Ji », un tueur qui agit dans différentes réalités pour se débarrasser de gitanes capables d’ouvrir les portes des mondes. Berg est un authentique « voyageur », c’est-à-dire qu’il est « capable de passer de terre en terre et d’en garder le souvenir ». Il peut aller de Terra 0000 à Terra 9999 en conservant le souvenir de tout changement ou événement observé à chaque n+1 parcouru.
Gratifié des dessins à la texture si spécifique du dessinateur croate Igor Kordey, ce premier tome de Môbius initie un coup à trois bandes sur un rythme échevelé : pendant que Berg est aux trousses de « Ji », Viktor, un ancien membre des Navy Seals, est recruté pour traquer l’agent du Mont afin de le faire passer de vie à trépas. Berg et Viktor ont un passé commun dont on devine l’effeuillage dans les épisodes suivants. Ce premier tome est aussi l’occasion pour Jean-Pierre Pécau et Igor Kordey de rendre hommage à quelques figures tutélaires. On pense d’abord à L’Incal – la série s’intitule Môbius et le principal protagoniste se nomme Berg – et ensuite à Matrix – l’allusion aux pilules bleue et rouge.
Pour l’heure, tout reste cependant à l’état de promesses : l’exploration des mondes et la mythologie demeurent en construction, la caractérisation des personnages est encore chiche, les jeux d’alliance et de revers ne font probablement que commencer. Cela ne nous empêche pas d’admirer les dessins détaillés d’Igor Kordey ni de nous perdre en conjectures quant à la suite des aventures de Berg et du Mont.
Môbius (T01), Jean-Pierre Pécau et Igor Kordey
Delcourt, janvier 2021, 56 pages