Le tombeau du géant casse le mythe de Merlin l’enchanteur

Prévu comme un diptyque (comportant L’homme aux babioles (2018) puis Le garçon aux bestioles (2019)), Villevermine était une trop belle réussite pour que Julien Lambert s’en tienne là. L’originalité de cet univers ne pouvait que continuer à l’inspirer. C’est ainsi qu’il nous propose maintenant cet album qui n’est pas une suite, mais un prolongement des aventures de Jacques Peuplier, ce colosse collectionneur d’objets et détective de son état.

Les premières planches mettent en place quelque chose qui ressemble à une légende, celle d’un géant (d’où le titre de l’album) qui aurait vécu cinquante ans auparavant. Il s’agirait d’un être à la stature encore beaucoup plus impressionnante que celle de Jacques Peuplier. Ce géant aurait semé la panique dans la ville et il aurait finalement été tué par le courageux Boris Tassard, qui aurait réussi à lui pourfendre le crâne avec un merlin (objet moitié masse moitié hache à long manche qu’utilisent les bucherons), surnommé depuis « Le Fendeur ». C’est la propre fille de Boris Tassard qui raconte la scène devant un public de jeunes, pour les préparer psychologiquement à la fête qui s’annonce. En effet, traditionnellement, la ville se plaît à se souvenir chaque année de cet épisode lors de la fête du géant, sorte de défouloir local. Le souci, c’est que Boris Tassard est mort depuis longtemps et que « Le Fendeur » est introuvable. Pour marquer le coup, la fille de Boris Tassard engage Jacques Peuplier pour qu’il retrouve « Le Fendeur ». Bien entendu, ceci n’est que la base d’une aventure qui vaudra bien des surprises. Ainsi, la quête du « Fendeur » mènera Jacques Peuplier vers une autre quête, à la suite d’une rencontre. D’autre part, Jacques Peuplier dialogue toujours avec les objets qu’il croise et ce n’est pas un fantasme. En effet, ce sont bien eux qui vont lui fournir des indications déterminantes dans ses recherches qui vont le mener jusque dans les égouts de la ville.

Une enquête prétexte à exploration

Cet album marche dans la droite ligne des deux qui l’ont précédé, pour décrire une grande ville qui mérite largement son surnom. D’ailleurs, Julien Lambert s’y entend toujours pour profiter des innombrables péripéties du scénario, pour la décrire en nous la faisant explorer dans sa profondeur. Les couleurs sont encore une fois bien adaptées et le trait contribue également à faire sentir la dégradation de la ville. Ainsi, même sans avoir inspecté l’album sous toutes ses coutures, je parierais bien qu’il ne comporte aucun trait tracé à la règle. D’ailleurs, de manière générale, le trait comporte un léger tremblé caractéristique qui donne cet effet de dégradation qui affecte aussi bien les décors que les personnages. Ce qui n’empêche pas le dessinateur de proposer quelques dessins de grande taille qui font plaisir à voir. De manière générale, l’album est plaisant à parcourir, parce que l’auteur soigne les détails et les décors, fait sentir l’atmosphère et s’arrange pour faire respirer l’ensemble en lui donnant un naturel qui saute aux yeux. Oui, on s’y croirait dans cette Villevermine et l’organisation générale des planches y contribue, car Julien Lambert montre qu’il maîtrise son art en utilisant chaque espace à bon escient, en respectant un bon équilibre entre dialogues et descriptions (dessins d’atmosphère), aller et retours entre passé et présent, tailles et formes (très variables) des vignettes et progression de son histoire entre action et moments plus calmes. Et c’est un plaisir de le voir jouer une nouvelle fois avec ce point particulier permettant à Jacques Peuplier de dialoguer avec les objets, qu’il va jusqu’à doter de personnalités. Autant dire que le format relativement grand (31,8 x 23,7 cm) et les quelque 85 pages de l’album lui permettent de déployer tout son talent. Ainsi, il attribue à la ville une histoire, des croyances et des personnages bien particuliers. Tout cela contribue à l’atmosphère vraiment inimitable, avec une enquête parfaitement indépendante de celle qui faisait l’objet des deux autres albums. On peut dire que Julien Lambert a pris la bonne décision en donnant ce prolongement à un diptyque qui pouvait se suffire à lui-même. Il profite de ce qu’il a mis en place pour proposer un album qui pourrait en appeler d’autres, car Jacques Peuplier pourrait mener de nouvelles enquêtes. Toujours est-il que celle qu’il mène ici nous emporte dans un univers étonnant qu’on a plaisir à retrouver, en dépit de tout ce que le titre sous-entend. Ainsi, il convient de souligner que cet album comporte sa part de violence, ce qui n’empêche pas d’y trouver un certain goût pour la délicatesse (celle des maladroits), voire même de la poésie. En s’intéressant à l’histoire et aux légendes de la ville, Julien Lambert donne de la consistance à un univers incomparable. Et il réussit une nouvelle fois à nous faire rêver. Sans compter certains détails vraiment bien pensés comme les origines de la force du géant, bien supérieure et effrayante à celle qu’on pourrait attendre d’un tel individu hors normes. Une force qui inspire une telle crainte à son possesseur (qui ne la contrôle pas, malgré tous ses efforts), qu’il refuse tout contact avec l’extérieur, allant jusqu’à se barricader. Cette opposition entre force et faiblesse du personnage est un des aspects les plus intéressants de l’album. De même pour Jacques Peuplier qui se montre très capable dans son activité de détective, alors qu’il se révèle très peu doué pour mener une vie sociale digne de ce nom. Comme par hasard, il est nettement plus à l’aise avec les objets !

Villevermine – Le tombeau du géant, Julien Lambert

Sarbacane, janvier 2022

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